Même les oiseaux se sont tus
filles, qui semblaient le trouver plutôt beau. Élisabeth le toisa et dut admettre que son frère paraissait encore mieux que Jerzy qui avait eu la réputation d’être un des plus beaux garçons de Cracovie.
– J’ai l’impression, Jan, que tu vas aimer Montréal et les Montréalaises.
– S’il te plaît, cesse donc. C’est à peine si...
Jan s’était tu et avait fait un petit signe de tête à une mère et à sa fille avant de leur céder le passage à l’intersection de la rue Christophe-Colomb. La fille se retourna au moins quatre fois pour le dévisager, les yeux étonnés. La mère mit fin au manège en la rappelant à l’ordre par un coup de coude si peu discret qu’il ne leur échappa pas. Élisabeth recommença à taquiner son frère.
– Qu’est-ce que je disais? Tu vas aimer Montréal.
Jan haussa les épaules et pria sa sœur d’accélérer pour qu’ils rejoignent les Favreau.
– As-tu peur que nous nous égarions?
– Non. Mais je veux être avec eux. On ne sait jamais. Peut-être qu’ils connaissent les gens que nous voyons.
– Jan! Tu veux savoir le nom de la jeune fille aux cheveux frisés?
Jan la regarda, presque choqué. Il n’avait sincèrement plus pensé à cette courte rencontre, mais voulait connaître les gens qui, peut-être, étaient des clients de l’épicerie.
– Pour qui me prends-tu?
– Pour mon frère... si tu l’es encore...
Jan cessa de marcher et retint Élisabeth par le bras. Il la regarda bien en face, les yeux ternis d’incrédulité. Il lui arrivait parfois de ne plus la comprendre, alors que, cinq ans auparavant, elle ne pouvait faire une grimace sans qu’il sache où elle avait mal, que ce soit au corps ou à l’âme.
Arrivés dans le parc, ils suivirent M. Favreau qui jouait des coudes pour atteindre le kiosque central.
– Je voulais arriver tôt parce que j’ai pensé que vous aimeriez ça assister au concert.
Ils s’assirent sur la pelouse. Élisabeth et M me Favreau purent s’appuyer contre un arbre. Quand la musique commença, sous un ciel gris et chaud, Élisabeth s’abandonna la tête et laissa couler une larme en entendant une des pièces que sa mère avait aimé enseigner. Elle retrouva ses pensées de l’après-midi, s’interrogeant sur les projets et les rêves que sa mère avait caressés pour ses enfants. Se pouvait-il qu’elle fût ravie d’apprendre que ses enfants n’avaient pas tous un diplôme? Comprenait-elle leur fuite de Pologne? Voyait-elle, elle aussi, l’extraordinaire ressemblance entre son fils Adam et son petit-fils Stanislas?
Un coup de percussion ramena Élisabeth au parc LaFontaine. Elle promit à sa mère de lui reparler tout en applaudissant les musiciens qui avaient joué stoïquement sous leurs chauds habits de cérémonie et s’essuyaient le cou, le front et la figure avec de grands mouchoirs apparus comme par magie. Un homme qu’on présenta comme étant Arthur Tremblay, président de la Société Saint-Jean-Baptiste, s’avança aumicro pour parler du programme de la fête et remercier les gens de s’être déplacés en si grand nombre par une canicule précoce et cruelle. Son propos dura trois quarts d’heure, au grand désespoir d’Élisabeth qui n’avait qu’une envie: se lever pour se dégourdir les jambes. M. Tremblay termina son allocution en annonçant le thème du défilé du lendemain: «La vie populaire au Canada français». Élisabeth put enfin se lever quand on procéda à la bénédiction du bûcher, gigantesque cône de brindilles, de branches et de troncs.
– C’est pas notre archevêque. C’est Mgr Maurault.
M me Favreau avait chuchoté l’information dans l’oreille d’Élisabeth pendant que cette dernière faisait le signe de la croix. Un homme rondelet s’approcha du bûcher.
– Lui, c’est monsieur le maire Houde. Ça doit être lui qui va allumer le bûcher.
M me Favreau avait à peine terminé sa phrase que le bûcher s’enflammait, énorme brasier qui semblait vouloir donner la réplique à la canicule. Plusieurs personnes reculèrent, craignant d’être atteintes par les brandons qui volaient partout telles des lucioles ivres ou égarées. Jan regarda le feu sans sourire. Il pensait à Jerzy et à Anna qui avaient insisté pour qu’il soit à Saint-Norbert à la Saint-Jean. Il revoyait aussi Stanislas qu’il avait privé de parrain. Il se promit de lui parler du rêve qu’il avait fait et refait pendant plus de deux ans avant de le
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