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Même les oiseaux se sont tus

Titel: Même les oiseaux se sont tus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
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œufs durs en sauce blanche, parlant si rapidement du travail que lui et Jan abattraient que M me Favreau et Élisabeth passèrent les plats à une vitesse n’ayant d’égal que le débit de Favreau. Il ne s’interrompit que deux fois, des clients entrés dans le magasin l’obligeant à descendre pour les servir.
    – Ce soir, on va au parc LaFontaine. On pourrait marcher mais je vais essayer d’amener l’auto le plus près possible. J’ai pensé qu’on pourrait aller à la messe de minuit après le feu de la Saint-Jean.
    M me Favreau demeura bouche bée, sa fourchette pointée au plafond.
    – Es-tu sérieux?
    – Oui, madame. Ça fait combien de temps que tu me demandes d’aller au feu avec toi?
    M me Favreau réfléchit quelques secondes.
    – Ça fait combien de temps que tu as acheté l’épicerie?
    – Dix-sept ans.
    – Alors, ça fait seize ans.
    Jan regarda M. Favreau qui lui fit un clin d’œil avant d’avaler sa dernière bouchée.
    – Je redescends. Tu viens avec moi, mon homme, ou tu montes chez toi défaire ta valise?
    Pour toute réponse, Jan remit sa casquette et bondit sur ses pieds. Élisabeth le regarda descendre et sourittristement à M me Favreau, qui avala prudemment une gorgée de thé fumant.
    – Si jamais il décide de devenir épicier, il est mieux de trouver une femme qui aime être à la maison.
    Élisabeth approuva de la tête et regarda attentivement la cuisine, comme si elle la découvrait pour la première fois. Si elle avait pu reculer dans le temps et moucharder, elle aurait dit à sa mère combien elle désapprouvait la vie de ses frères. Jerzy était heureux, mais son bonheur n’avait que la couleur des champs et aucun horizon autre que celui qu’il voyait au bout de ses terres. Elle lui aurait confié que Jan n’avait jamais voulu terminer ses études et qu’il n’avait qu’un rêve: travailler dans une épicerie. Elle n’aurait pas effleuré le sujet de la musique, sachant que sa mère aurait été peinée d’apprendre que sa fille était la seule à avoir persévéré. Une voix imprécise lui parla et Élisabeth sursauta devant l’expression désolée de M me Favreau.
    – Pardon?
    – Je te demandais si tu voulais venir avec moi faire quelques petits achats.
    Élisabeth s’efforça de sourire en acquiesçant. Elle sentait soudainement le poids du deuil de sa mère.
    Jan marchait devant avec M. Favreau pendant qu’Élisabeth et M me Favreau échangeaient des propos qu’Élisabeth trouvait frivoles et, en conséquence, plus que bienvenus.
    – Et dans ce logement-là, il y a un vieux couple qui y habite depuis au moins cinquante ans. Ils n’ont jamais eu d’enfants, mais ils doivent bien avoir une douzaine de chats.
    – Une douzaine?
    – Minimum, mais rien que des matous. Comme ça, ils n’ont pas besoin de se préoccuper des portées et des minous. Ici, dans ce logement-là, il y a une famille, tiens-toi bien, Élisabeth, de dix-neuf enfants.
    – Dix-neuf?
    – Oui. Tous vivants. Mais il y en a de partis. Il y en a même de mariés. L’aînée des filles a eu deux bébés avant que sa mère ait son dernier. Est-ce que vous avez des familles comme ça en Pologne?
    – Peut-être dans les campagnes, mais à Cracovie, je ne me souviens pas d’avoir vu ça. Mais c’était la guerre.
    Ils traversèrent la rue Rachel, et les piétons, de plus en plus nombreux, arrivaient de partout. Élisabeth n’avait pas vu un tel rassemblement depuis son enfance, quand les fervents de Cracovie, véritables pèlerins de la foi, marchaient le dimanche vers l’église Notre-Dame. Même à la cathédrale de Saint-Boniface, elle n’avait pas vu autant de gens.
    M me Favreau avait rejoint son mari et Jan se mit au pas de sa sœur.
    – C’est extraordinaire, Élisabeth. M. Favreau m’a dit qu’il y avait une famille qui habitait ici et qu’il y avait...
    – ... dix-neuf enfants.
    – Tu le savais?
    – Évidemment. Pourrais-tu me montrer la maison de la douzaine de chats?
    – Oui, mademoiselle. Je pourrais aussi te montrer celle où il y a eu un meurtre.
    – Un meurtre?
    Élisabeth s’était rembrunie. Depuis le triste épisode de l’orage, à Saint-Adolphe, elle n’avait plusentendu parler de mort violente et n’avait plus vu de corps hachés. Elle s’épongea le front, la chaleur étant intense et leur pas assez rapide. Elle regarda Jan qui souriait à lui faire mal au ventre. Il regardait à gauche et à droite, baissant les yeux timidement devant les

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