Même les oiseaux se sont tus
comme vous.
– Ma sœur, Élisabeth.
Elle n’avait plus rien ajouté, lui demandant seulement d’aller déposer la boîte d’épicerie sur le comptoir de la cuisine. Il aurait très bien pu y aller seul, mais elle l’avait suivi. Elle alla chercher son sac à main et lui remit un pourboire avec un sourire qui l’intimida tellement qu’il en échappa l’argent. Depuis ce temps, chaque fois que le téléphone sonnait, il répondait sans empressement pour ne pas éveiller de soupçon chez M. Favreau, espérant entendre la voix de Michelle ou de sa mère.
Incapable de trouver le sommeil, ayant le corps en attente de celui d’une femme, Jan se releva et se réfugia devant le contenu du réfrigérateur, referma celui-ci sans avoir rien pris, et passa au salon. Il déplia
La Presse
et fut attristé d’y lire que les troupes canadiennes s’apprêtaient à fouler le sol de Corée. Il referma le journal et rentra dans sa chambre pour se rhabiller.
Le soleil hivernal et frileux s’était levé et venait tout juste de frapper aux fenêtres quand M. Favreau, presque prêt à quitter pour la messe de neuf heures, descendit dans l’épicerie. Il en fit le tour des yeux, se grattant la tête d’étonnement. L’épicerie était sens dessus dessous, mais deux murs et les tablettes qui y étaient fixées séchaient en vert pâle et en blanc. Jan avait entrouvert une fenêtre pour accélérer le séchage.
– Yvonne! Yvonne! Viens voir!
M me Favreau, des bigoudis sur la tête, le rejoignit et fut ravie de ce qu’elle voyait.
– Il a dû travailler toute la nuit.
– Sûrement.
M. Favreau monta chez lui à la hâte pour se changer.
– Qu’est-ce que tu fais? La messe est à neuf heures!
– Je le sais, mais j’ai décidé de faire la charité. Si un petit gars est capable de passer toute une nuit blanche pour m’aider dans mon travail, le moins que je puisse faire, c’est de l’aider à mon tour. Prie pour deux, mon Yvonne. Moi, je vais faire ce que j’aurais dû faire il y a dix-sept ans. J’espère simplement que Jan va dormir jusqu’à midi pour que je puisse le surprendre.
M me Favreau partit seule pour la messe pendant que M. Favreau, juché sur l’escabeau, sifflotait en appliquant la peinture.
Jan emprunta la rue Gilford jusqu’à la rue de Grand-Pré, hésita avant de tourner à droite puis s’engagea résolument. Il ralentit à peine devant la maison qu’habitait Michelle, mais eut le temps de remarquer que les lampes étaient maintenant allumées. Depuis qu’il avait fini de peinturer, il était passé au moins cinq fois devant chez Michelle, se disant chaque fois que c’était la dernière puisqu’il lui fallait aller dormir; aussitôt revenu à son point de départ, il regardait l’heure, décrétait qu’il n’avait pas encore sommeil et refaisait le trajet. Pour se convaincre qu’il avait effectué son dernier circuit, il revint par le long chemin, soit par le boulevard Saint-Joseph, qu’il arpentait en direction est pour la sixième fois lorsqu’il arriva nez à nez avec M me Favreau à l’angle de la rue Berri.
– Jan! Tu n’es pas couché?
– Oui, madame Favreau. C’est mon rêve que vous voyez.
Elle éclata d’un rire si spontané qu’il entraîna Jan dans son écho. Ils se tordirent sans pouvoir s’arrêter, M me Favreau lui labourant un bras de petits coups en le suppliant de cesser. Jan essayait sérieusement de le faire mais en était incapable. La fatigue, il le comprenait, venait enfin de s’emparer de lui.
– Cesse, sinon je vais être en retard à la messe.
– J’y vais avec vous.
M me Favreau le toisa et jugea qu’il était assez propre pour y assister.
– As-tu les mains lavées?
– Non. Elles sont vertes.
Encore une fois, ils éclatèrent et eurent toutes les misères du monde à reprendre leur sérieux en entrant dans l’église. Ils s’assirent dans une allée latérale, vers l’arrière. Jan avait la chance d’être à côté du mur. Il fut attentif jusqu’à l’homélie mais s’endormit dès que le prêtre monta en chaire et fit les annonces nécrologiques de la semaine. M me Favreau ne broncha pas, feignant de ne pas remarquer son sommeil. À la fin du prêche, elle lui donna un coup de coude et Jan, surpris, s’agenouilla. Retenant un fou rire d’adolescente, elle le tira par la manche pour qu’il se rassoie et se pencha pour lui chuchoter quelque chose à l’oreille.
– As-tu de l’argent pour la quête?
– Non,
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