Même les oiseaux se sont tus
s’intéresser aux jouets, mais il ne cessait de regarder Michelle qui prenait sa tâche très au sérieux.
– Presque onze mois?
– Presque.
– Est-ce qu’il marche?
– Euh!... Je n’en sais rien, mais il devrait marcher d’ici un an.
Michelle éclata de rire et continua à examiner et à tripoter les jouets. Jan entendait siffler le petit train du village du père Noël et, occasionnellement, apercevait la fée des étoiles qui venait accueillir les jeunes visiteurs fascinés, éblouis ou terrorisés. Jan aurait donné une fortune pour rajeunir magiquement et se retrouver dans cet univers féerique, innocent et insouciant, au lieu d’être là à se demander s’il devait tutoyer Michelle et l’inviter au récital de Florence.
– Qu’est-ce que vous en pensez?
– C’est très bien.
Michelle tenait une petite abeille qu’elle posa sur le plancher et tira vers elle par une ficelle. Les ailes tournèrent en faisant un bruit amusant.
– Je crois que ce serait bien. Il devrait marcher bientôt et va certainement aimer tirer une petite abeille qui essaie de bourdonner.
Jan la remercia mille fois, passa à la caisse pour payer et la réinvita pour le repas. Elle regarda sa montre et grimaça.
– J’ai dit à mon père que je reviendrais pour une heure et demie. Je ne pense pas avoir le temps.
– Un dessert?
– O.K.
Ils montèrent au neuvième étage et Jan, d’une politesse inhabituelle, la fit passer devant lui au sortir de l’ascenseur et en entrant dans la salle à manger. Michelle poussa un «oh!» d’étonnement devant l’originalité du décor.
– Ç’a l’air vieux!
Jan sourit intérieurement.
– C’est voulu. Élisabeth m’a dit que c’était la réplique de la salle à manger d’un transatlantique.
– Non! Lequel? Pas le
Titanic
, au moins?
–
L’Île-de-France
, il me semble.
Élisabeth fut surprise en reconnaissant la jeune fille croisée au feu de la Saint-Jean. Jan fit les présentations et les deux jeunes femmes se toisèrent rapidement sans cesser de sourire. Jan, lui, avait le sourire laqué sur la figure même si, intérieurement, il se demandait de quoi Michelle et lui pourraient bien discuter aussitôt attablés. Élisabeth les escorta, déposa les menus, donna un discret coup dans le dos de Jan et alla accueillir d’autres clients.
– Si j’ai une minute, je reviendrai pour voir le cadeau que vous avez choisi.
Jan avait le menu devant les yeux et se demandait s’il n’avait pas besoin de verres correcteurs. Toutes les lettres se dandinaient au rythme de l’emballement de son cœur qui réagissait violemment au «vous» que leur avait servi Élisabeth. Elle avait dit «que vous avez choisi», comme s’ils étaient deux.
– Et puis? Qu’est-ce que tu prends?
– J’ai changé d’idée. Je vais prendre du rôti de bœuf. Mon père va comprendre.
Jan l’avait tutoyée et elle n’avait pas bronché. Il ferma les yeux de plaisir, sachant que le tutoiement, quoique plus facile ici qu’en Pologne, lui permettait déjà plus d’intimité. Il commanda la même chose qu’elle et, en attendant le service et pour se donner une contenance, ils lurent tous les deux l’historique du restaurant dans lequel ils se trouvaient. Michelle ponctua sa lecture de termes d’étonnement alors que Jan se demandait s’il pouvait déjà lui parler de sa traversée de l’Atlantique. Michelle regarda les lieux avec encore plus de plaisir.
– Incroyable, tu ne trouves pas? On peut fermer les yeux et s’imaginer entendre le bruit de la mer. On peut aussi penser que les vagues nous bercent. D’après toi, est-ce que les colonnes sont en vrai marbre?
– Élisabeth m’a dit que oui.
Il toussota à quelques reprises pour se donner la force de lui dire qu’il avait déjà été sur un transatlantique.
– Oui? J’ai bien pensé. Mais c’est extraordinaire!
– Pas tant que ça. Nous n’avions pas d’argent pour prendre l’avion et je ne savais pas nager.
Il ricana, pensant sincèrement avoir été très drôle.
– Est-ce que c’était un gros bateau?
– Oui, mais certainement pas aussi gros que
l’Île-de-France
. Les passagers, c’étaient soit des immigrants, soit des soldats. Je n’ai pas mangé dans une salle à manger comme celle-ci, qui doit être presque aussi belle que celle du
Titanic
.
– Sûrement.
Il raconta sa traversée, parlant de la nourriture et des couchers de soleil. Il raconta leur sortie de la Mancheet la
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