Même les oiseaux se sont tus
chemisier et le tailleur qu’elle devait porter dans le train. Elle avait à peine eu le temps de se rougir les lèvres lorsque la sonnette résonna de nouveau. Elle courut ouvrir, remonta pour faire enfiler à Jan un peignoir sur son pyjama détrempé, l’aida ensuite à s’enrouler dans une couverture de laine et le confia au médecin qui le soutint avec énormément d’énergie dans l’escalier pendant qu’elle les suivait, portant la valise.
En moins de deux, ils se retrouvèrent à l’Hôtel-Dieu et Jan fut transporté sur une civière. Il gémissait sans s’en rendre compte. Le médecin avait enfilé un sarrau blanc et Élisabeth put lire, sur une plaquette métallique épinglée sur la poche de poitrine, qu’il se nommait Denis Boisvert.
– Quand a-t-il mangé la dernière fois?
– Au souper.
– Rien depuis?
– Non.
– A-t-il vomi?
– Je ne sais pas, je dormais.
Le médecin leva un œil d’étonnement mais n’ajouta rien.
– Où est-il?
– Oh! J’aurais dû vous le dire. Il est dans le bloc opératoire.
– Dans le bloc opératoire?
– Oui. D’ici une heure, on va lui avoir enlevé cet appendice qui le fait souffrir, mais il n’y a pas une minute à perdre.
Il proposa à Élisabeth de rentrer chez elle mais elle refusa, préférant attendre que Jan sorte de la salle d’opération.
– Il doit être affolé...
– Je pense qu’il a trop mal pour être affolé. Vient un moment où les hommes ont moins peur de la mort que de la souffrance.
Élisabeth grimaça, se demandant sérieusement si son frère était en danger de mort. Boisvert passa derrière une porte à deux battants après lui avoir indiqué un endroit où elle pourrait trouver un fauteuil «à peu près confortable». Elle s’y écrasa et tenta de se détendre, mais n’y parvint pas. Elle frappa sa montre au moins trois fois pour être certaine que les aiguilles n’étaient pas collées puis se rendit compte que le soleil venait de tomber en flaque sur le plancher. Il était presque sept heures lorsqu’elle vit Boisvert s’approcher d’elle en souriant. Elle constata qu’elle avait eu raison de penser que son sourire était beau puis se reprocha cette distraction.
– Il nous a fait peur. Il était à quelques minutes de la péritonite. Mais je suis heureux du résultat. Évidemment, je vais le garder ici pour une semaine, dix jours, avant de vous le rendre.
– Si longtemps que ça?
– Madame, votre mari a évité la catastrophe. Élisabeth aurait voulu lui dire qu’il n’était pas son mari, mais le mot «catastrophe» la laissa muette.
– Maintenant, vous allez m’excuser mais j’ai un petit bébé qui m’attend. Il faut que j’aille m’occuper de l’accueil et de la coupure.
– De la coupure?
– Oui. La coupure du cordon.
Sur ces mots, il la salua et repartit derrière la porte à deux battants. Élisabeth essaya de le voir par la minuscule fenêtre en losange mais elle ne vit rien. Il avait dû tourner dans un couloir.
Elle s’occupa de l’admission de son frère, prit en note le numéro de la chambre qu’on lui assignait, monta à l’étage pour voir s’il était de retour de la salle d’opération et fut rapidement mise à la porte en se faisant dire, sans amabilité, que les visites se faisaient à sept heures du soir et non du matin. Elle revint lentement rue Saint-André, troublée par la nuit qu’elle venait de vivre, se demandant comment elle annoncerait à Étienne qu’elle ne serait pas dans le train.
54
– L’amour d’Élisabeth a été comme un feu de paille. Je l’ai senti couver longtemps, puis s’enflammer, puis... Bref, disons que le feu est éteint.
– Ce n’est pas ce qu’elle a dit, Étienne.
– C’est ce que j’ai compris.
Anna n’avait pas envie de revenir sur cette discussion. Depuis le mois d’août, depuis qu’Élisabeth avait été retenue par l’opération de Jan, Étienne était passé par toutes les affres du rejet. Jerzy, lui, semblait s’en être remis assez facilement.
– Je te l’avais dit, Anna, qu’Élisabeth ne reviendrait pas. Ma sœur cherche quelque chose. Elle ne fuit rien.
– Mais elle a eu vingt-trois ans au début d’octobre. Il me semble qu’Étienne était un compagnon idéal...
– Moi, je pense qu’Élisabeth ne se mariera pas. Parce qu’elle a encore mal et qu’il est possible qu’elle ait mal toute sa vie.
– Tu répètes toujours la même chose, Jerzy.
– C’est que rien ne me prouve le
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