Même les oiseaux se sont tus
chez elle et non dans les dépendances comme il l’avait demandé. Jerzy remerciait tous les jours le ciel de l’avoir mise sur son chemin. Elle lui avait permis de manger, d’avoir un Noël presque normal, et aujourd’hui, pour ses dix-huit ans, elle le gâtait encore une fois.
Jerzy se leva de table pour aller chercher le plat à vaisselle. M me Saska claqua de la langue, le força à se rasseoir et passa dans un coin de la pièce. Elle en revint avec la taie dans laquelle Jerzy avait mis les plumes de la poule.
– C’est pour toi.
Jerzy prit la taie, regarda à l’intérieur et y trouva une pelisse marron, rapiécée à trois endroits. Il la sortitet l’enfila. M me Saska souriait de son sourire jaunâtre mais resplendissant.
– Tu n’auras plus froid, Jerzy. Ta pelisse est remplie de plumes.
Jerzy retint ses larmes. Il ne pouvait montrer sa faiblesse devant M me Saska. Il sortit de la maison et se dirigea vers l’arrière du bâtiment pour prier devant la petite croix de bois qu’il voyait poindre d’un renflement dans la neige.
Zofia était en larmes. Elle avait collé Adam contre sa poitrine et lui parlait sans cesse de ce frère qu’ils avaient tous perdu et qui, quelque part, devait pleurer le jour de son anniversaire au lieu de s’en réjouir. Ce 5 février lui semblait tellement triste. Elle répéta à Adam qu’elle travaillait avec les conspirateurs à l’acheminement du courrier clandestin, comme l’avait fait son père avant d’être emmené par les Allemands. Zofia savait que des enfants transportaient des messages dans la doublure de leur manteau ou dans leurs chaussettes, mais elle n’avait jamais osé utiliser ses élèves, même s’ils auraient pu faire d’excellents pigeons voyageurs.
Zofia replaça la couverture autour du bébé et parla encore de Tomasz, comme s’il avait été absent depuis des années. Elle raconta que leur vie avait été bombardée et qu’elle savait que les fondations de la famille étaient lézardées. Ils auraient désormais tous de la difficulté à poursuivre leurs existences sans stigmates. Elle s’assoupit enfin en se disant que lorsque Tomasz rentrerait – ce qui ne saurait tarder, elle voulait s’en convaincre – toute la famille serait vivante, en santé et fière d’avoir tenu le coup en servant aux envahisseurs une résistance farouche.
– Je dois être en train de grandir.
En disant cela, Jan avait grimacé comme si le fait de grandir avait été une maladie incurable. Zofia s’en amusa. Elle s’était levée l’air froissée et s’était empressée de langer Adam avant de rejoindre Jan et Élisabeth dans la cuisine où ils cherchaient quelque chose à se mettre sous la dent.
– Tant mieux. Je vais rallonger ton pantalon.
– Je veux dire que je dois être en train de grandir parce que j’ai toujours de plus en plus faim.
Élisabeth, mécontente de la remarque de son frère, fronça les sourcils en le regardant, lui reprochant aussitôt de parler comme un bébé de trois ans qui ne pense qu’à son ventre. Jan parut mortifié, mais pas autant que sa mère, qui ne doutait pas de sa faim. Zofia prit sa portion de pain, en arracha une bouchée et sépara le reste en deux morceaux qu’elle offrit à ses enfants. Élisabeth refusa et Jan se sentit désespéré. S’il acceptait, il donnerait presque l’impression de faire mourir sa mère de faim. S’il refusait, il était convaincu que c’était lui qui mourrait. Il regarda le morceau de pain devant lui, le déchira en deux lui aussi, et en remit la moitié à sa mère qui l’accepta. Élisabeth l’imita et Jan jeta un coup d’œil en direction d’Adam, refoulant la peur qu’il avait de le voir grandir trop vite. Jan paniqua à la pensée qu’il devrait, un jour, partager avec lui ses si petites portions de nourriture.
10
– Pianissimo, pianissimo. La musique ne doit pas toujours être un coup de cymbales. Elle peut aussi bercer l’âme. Pense que ton âme est un bébé qui vit bien au chaud dans ton corps.
Zofia venait d’endormir Adam et tentait de calmer l’ardeur musicale d’une élève qui martelait les notes de ses doigts raides et frappait les pédales comme si elle avait été un Allemand en parade. La jeune fille adoucit sa touche et Zofia pencha la tête de contentement. À la fin de la leçon, elle se leva et s’approcha de son élève qui lui tendait les deux carottes qu’elle venait d’extraire d’un sac de fortune.
– Je suis
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