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Même les oiseaux se sont tus

Titel: Même les oiseaux se sont tus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
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derrière eux toute ambition d’être immortalisés par leur fait d’armes. Pendant leur course, Karol avait poussé un cri et trébuché mais Jerzy ne lui avait pas laissé la main et il avait souvent eu l’impression de le tirer derrièrelui. Ils avaient couru et couru, véritables marathoniens de la trouille.
    M me Saska revint, lui prit la poule des mains, l’ouvrit et la vida de ses viscères. Elle demanda ensuite à Jerzy de brûler tous les ombilics et les barbes de plumes retenus à la peau de l’oiseau. Jerzy le fit, réagissant à peine à l’odeur de chair roussie. Les tirs s’étaient finalement arrêtés et Jerzy avait estimé qu’ils avaient franchi une distance respectable. Ils avaient alors aperçu quelques autres civils, aussi lâches qu’eux, mais ne les avaient pas salués, trop gênés d’être où ils étaient.
    M me Saska prit la taie que Jerzy avait remplie de plumes et lui dit qu’elle allait laver le tout. Il rentra dans la maison, grelottant dans le froid du 5 février, et s’assit tout près de l’âtre où se consumaient timidement quelques brindilles qu’il avait mis des heures à ramasser.
    Ce n’est que le soir de leur fuite qu’ils avaient vu la blessure de Karol. Un trou dans le flanc droit d’où sortaient en bouillons des caillots de sang. Tous les deux, ils avaient paniqué.
    – Mais je me meurs!
    – Mais non. Si tu te mourais, Karol, tu n’aurais pas couru toute la journée.
    – C’est vrai, mais j’ai l’air d’avoir une vilaine blessure. Je ne comprends pas que je n’aie presque rien senti.
    – Et maintenant?
    – Je ne sens toujours rien.
    – Ce doit être parce que c’est superficiel.
    Ils étaient repartis, marchant toujours vers l’est pour éviter de tomber sur des patrouilles allemandes. Pendant près de trois semaines, ils avaient avancé péniblement, Karol souffrant de plus en plus. Ils avaient finalementtrouvé un médecin qui avait examiné la plaie et tenté de la désinfecter en faisant comprendre à Jerzy que Karol n’avait aucune chance de survivre à sa blessure. Jerzy avait alors appris que la Pologne avait capitulé depuis la fin de septembre et qu’il lui serait impossible pour l’instant de retourner à Cracovie, l’armée allemande y ayant installé le siège de son gouvernement. Il avait redemandé conseil quant à la direction qu’il devait emprunter et, soutenant Karol qui grelottait de fièvre, il avait repris son chemin.
    M me Saska revint dans la cuisine.
    – Je ne pense pas avoir suffisamment de bois.
    Jerzy enfila des bottes trop petites dans lesquelles il gelait des pieds, et un manteau de treillis râpé, volé sur le cadavre d’un soldat.
    Karol avait cessé de manger et Jerzy voyait son squelette qui devenait de plus en plus saillant à travers sa peau grisâtre.
    – Mange, Karol. Il faut que tu reprennes tes forces. Il faut...
    Jerzy n’avait plus rien dit, parce qu’il ne savait plus ce qu’il fallait. Son seul but était de forcer Karol à vivre. Celui-ci avait atteint un tel point de faiblesse que Jerzy le traînait maintenant derrière lui, le portant, telle une cape, sur ses épaules. Karol râlait de plus en plus et avait finalement prié Jerzy de le laisser tomber et mourir en paix.
    – Voyons, Karol. Tu prends beaucoup de mieux.
    Jerzy avait aperçu le vacillement de la lumière d’une bougie derrière la fenêtre d’une chaumière. Il s’en était approché et avait frappé à la porte, soutenant toujours Karol. M me Saska lui avait ouvert, ne montrant qu’une moitié de son visage.
    – Est-ce que mon ami et moi nous pourrions dormir dans votre bâtiment?
    M me Saska s’était approchée de lui, l’avait examiné directement sous le nez, puis avait répété son geste avec Karol.
    – Tu peux peut-être dormir, mais pas ton ami. Parce que moi, ce que je vois sur ton dos, c’est un mort.
    Elle s’était signée et Jerzy avait laissé tombé Karol pour l’examiner. Karol avait les yeux et la bouche ouverts. Sans dire un mot, M me Saska était allée dans le bâtiment chercher une pelle et, munie d’un lampe à huile, elle avait éclairé Jerzy pendant qu’il creusait la fosse de son ami.
    Jerzy revint vers la maison, un bon fagot dans les bras. M me Saska serait certainement ravie. L’odeur de volaille embaumait déjà l’air. Depuis son arrivée, quelque part en octobre ou en novembre, M me Saska, sachant qu’il n’avait plus d’endroit où aller, lui avait permis de demeurer

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