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Même les oiseaux se sont tus

Titel: Même les oiseaux se sont tus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
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«volonté» quand les peuples de conquérants vivaient dans la volonté d’abattre les frontières et les jardins qu’elles enclosent? Comment dire «Bonne année!» à Zofia et aux enfants qui jouaient pour ce nouvel an comme s’ils avaient voulu rappeler à tous que derrière leurs larmes demeurait le souvenir d’un temps différent, éclairé par un phare d’avenir, alors que de timides lumignons ombrageaient leur présent?
    Jan avait pris une démarche presque nonchalante. Il ne voulait ni se hâter ni flâner, de crainte d’attirer l’attention. Il lui fallait rentrer rapidement à la maison avec une feinte désinvolture. Sa mère, la veille, pendant la messe de l’Épiphanie, avait annoncé que son corps lui donnait les signes avant-coureurs de l’accouchement. Ce matin même, elle s’était plainte d’un mal de ventre et de pincements au dos. Jan était certain qu’il entendrait un bébé dès son retour. Il entra donc le cœur presque léger, ravi à l’idée de sentir la guerre déjouée par la naissance d’un autre Polonais. Élisabeth était assise dans le salon, serrant contre sa poitrine le manche du violoncelle de son père, comme si elle avait voulu tromper la solitude dans laquelle elle avait été précipitée à son retour de l’école clandestine. Elle avait les yeux inondés de crainte.
    – La sage-femme est avec maman. Elle crie un peu, Jan. N’aie pas peur.
    Élisabeth le vit tenter courageusement de retenir un frisson d’inquiétude et elle-même aurait voulu voir sa mère pour se rassurer. Elle s’approcha de la porte de la chambre de ses parents, y colla une oreille et écouta les sons de la naissance qui lui parvenaient étouffés. La musicienne en elle entendit un rythme en crescendo, suivi d’un silence, d’un nouveau crescendo, d’unsilence, d’un crescendo. Élisabeth ne broncha pas. De l’autre côté de la porte, Zofia demanda de l’eau avant de reprendre la bride d’un cheval fabuleux qu’elle semblait chevaucher à perdre haleine. Élisabeth déglutit tout doucement, de crainte de révéler sa présence. Mais elle voulait tant voir sa mère que, la chevauchée terminée, elle se pencha et approcha ses lèvres de la serrure.
    – Maman, c’est moi. Est-ce que je peux entrer te voir une minute?
    La voix de Zofia lui parvint clairement. Élisabeth eut la permission d’entrer et elle ouvrit la porte délicatement pour ne pas troubler le calme serein qu’elle protégeait. Sa mère avait la tête douchée d’une sueur qui lui dégouttait encore sur les paupières. Élisabeth s’approcha, prit le chiffon qui pendait sur le bord d’un bol rempli d’eau fraîche et épongea le front de sa mère qui la regarda en silence, le visage fatigué, souriant à travers un tremblement. Élisabeth vit avec étonnement le ventre de sa mère s’aspirer lui-même et la sage-femme lui demanda de quitter la pièce. Elle partit à reculons, referma la porte précautionneusement et alla rejoindre Jan.
    Ils s’assirent tous les deux, se tenant la main – ce qu’ils ne voulaient évidemment plus faire depuis qu’ils avaient vieilli. Ne cessant d’entendre les sons rythmés qui leur parvenaient de la chambre, ils commencèrent à fredonner des airs sur ces rythmes pour exorciser leur peur de perdre la seule personne qui leur restait. Tantôt ils fredonnaient du Debussy beau à endormir un insomniaque ou
Guillaume Tell
de Rossini sur un rythme endiablé. Sans en prendre vraiment conscience, ils chantonnèrent de plus en plus fort. De la chambre,Zofia les entendit et fut émue de ce soutien inespéré. Elle aspira les rythmes qu’ils lui donnaient à boire avant de s’engager en trio avec eux, haletant staccato.
    Un son rauque et sans note, saisissant comme celui d’un gong, rompit le rythme. Il se changea rapidement en gargouillements tandis que la voix de leur mère imita une berceuse remplie de sourires et de larmes. Élisabeth et Jan, la bouche ouverte, espéraient pouvoir reprendre les rênes de la chevauchée, effrayés de penser que l’amazone avait été désarçonnée. La sage-femme ouvrit enfin la porte.
    – Le bébé est arrivé. Je vous l’apporte dès qu’il sera propre.
    Jan plissa le nez et demanda à sa sœur pourquoi un bébé tout neuf n’était pas propre. Élisabeth, dont le corps n’avait pas vraiment achevé sa métamorphose, était aussi ignorante que lui. Ils ne s’interrogèrent pas longtemps, la sage-femme étant tout à coup devant eux,

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