Même les oiseaux se sont tus
un officier, lui demandaient d’entrer. Elle leur laissa le passage libre. Zofia, avertie par les voix, était déjà là.
– Messieurs?
Ils la suivirent au salon, le premier, jeune et fringant, ne faisant preuve d’aucune politesse, le second, de l’âge de Zofia, prenant le temps de les saluer. Ils visitèrent ensuite toutes les pièces de la maison. Le plus jeune y jeta un regard prétentieux de conquérant alors que le second le faisait discrètement, visiblement mal à l’aise.
Pendant la courte absence de sa mère, Élisabeth retrouva son sang-froid pendant quelques secondes. Elle demanda à Janina de partir et d’attendre M me Grabska pour l’aviser de tirer ses tentures. Elle devait ensuite avertir le propriétaire du bistrot d’empêcher Tomasz et Jan de rentrer.
Janina, que la leçon avait déjà ébranlée, partit d’un pas si peu sûr qu’elle perdit pied sur la première marche de l’escalier et eut tout juste le temps de se retenir à la rampe pour ne pas tomber.
Le plus jeune des Allemands urina dans le cabinet sans en demander la permission. Zofia tiqua mais tentade cacher son désagrément. Le jeune soldat ressortit en se boutonnant la braguette, ce qui, elle l’aurait juré, indisposa l’officier.
– Les professeurs sont vraiment bien logés. Tous ceux qui ont pu habiter dans des résidences de professeurs ont eu de la chance. C’est à votre tour, monsieur.
Il ricana sa réplique en regardant son supérieur qui demeura impassible.
– Bon, ajouta le jeune homme en se raclant la gorge, je crois que je vais aller fumer une cigarette dehors.
Élisabeth le raccompagna à la porte, puis revint vers sa mère. L’officier ne cessait de poser des questions. Élisabeth resta un peu éloignée et ne broncha pas. Elle trouvait que les mots de l’Allemand ressemblaient plus au claquement d’un fouet qu’à une conversation. Elle se sentit s’engourdir de peur de la tête aux pieds. Zofia se tenait devant elle, à la droite de l’officier, plus pâle qu’une pleine lune d’hiver, et lui fit comprendre, d’un discret battement de cils, de ne pas parler.
– C’est bien vous le professeur de musique?
– Oui, pourquoi?
– Vous avez bonne réputation.
Zofia reçut le compliment sans remercier. Elle se demandait s’ils avaient fiché toute la population de Cracovie. Un silence terriblement inconfortable s’installait dans la maison lorsque la porte s’ouvrit toute grande et qu’Adam arriva au grand galop, échappant à l’autorité de M me Grabska qu’on entendait chuinter de mécontentement. Élisabeth tenta d’intercepter son frère mais il lui fila entre les doigts pour se diriger résolument vers l’officier. Il se précipita sur son étui de fusil. M me Grabska, voyant qu’elle avait perdu lapartie, s’éclipsa en douceur après avoir fait un signe pour tenter de rassurer Zofia.
– Adam! Reviens ici tout de suite!
Étonnée, Élisabeth chercha d’où venait cette voix qu’elle venait d’entendre et qui ressemblait tant à la sienne. L’officier, d’un geste étonnamment patient, sortit son arme, la vida et la remit à Adam qui sourit de fierté. Zofia, horrifiée, la lui arracha des mains. D’une main toujours gantée, elle rendit l’arme avec dédain et jeta un regard furieux à Adam qui comprit qu’il avait commis un impair. Il retourna derrière sa sœur mais, d’un œil alerte, ne manqua rien de ce qui se passait dans la pièce. Élisabeth, elle, entendait sa poitrine craquer de peur.
– Le soir, nous mangeons assez tôt parce que nous faisons de la musique en famille. Dès que mon mari est de retour. Tous les soirs. Nous faisons cela depuis toujours.
Zofia essayait de lancer des appels au calme à Élisabeth qui semblait de plus en plus terrifiée par le silence froid et poli de l’Allemand. Zofia, elle, était à peu près impassible, mais Élisabeth, bien qu’à deux mètres d’elle, sentait la transpiration de plus en plus âcre de sa mère. Elle pensa que la peur avait une odeur.
– Nous vous installerons confortablement.
Élisabeth sursauta intérieurement, du moins l’espérait-elle. Ainsi donc la guerre venait de prendre leur maison d’assaut. Pendant près de quatre ans, ils avaient été continuellement ennuyés, mais jamais réquisitionnés, à leur grand étonnement d’ailleurs. Elle regarda l’officier qui avait recommencé à examiner la chambre de ses parents et elle frissonna. Depuis ledébut de la guerre, elle avait
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