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Même les oiseaux se sont tus

Titel: Même les oiseaux se sont tus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
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pourront me dire si c’est un grand cru.
    – Non, non, la Pologne d’abord. Surtout son élite cracovienne.
    Jerzy s’inclina et, fesses nues, reçut une injection en grimaçant.
    – C’est un cru extraordinaire. Piquant à souhait, et qui nous arrose jusqu’à la plante des pieds.
    Ils éclatèrent tous de rire, Jerzy le premier.
    – Aouhhh! C’est que ça chauffe. Je crois que c’est le cru des crus!
    L’infirmière ricanait. Ces trois patients souffraient les pires douleurs en silence et feignaient l’agonie dèsque les traitements commençaient. Elle piqua la fesse du premier Australien, qui se mit à copier le hurlement du chien. Jerzy et le deuxième Australien l’imitèrent à l’unisson.
    – Cessez donc, demanda l’infirmière. Il y en a qui pourraient penser qu’ils entendent des hurlements de mort.
    – C’est ce que c’est. Vous nous tuez à petite dose tous les jours! Aouhhh!
    Le choral de braillements reprit de plus belle pendant que l’infirmière s’éloignait avec son plateau couvert de mèches, de gazes et d’ouates hydrophiles rougies.
    – Hé! Charles. Dommage que les dingos ne hurlent pas. Parce qu’on pourrait hurler sans accent! Ha, ha, ha!
    – Ouais! Vive les dingos!
    – Toi, le Polak, est-ce que tu as de la famille?
    – Je crois que oui mais je ne sais plus.
    – Si tu n’as plus de famille, viens en Australie avec nous. Viens te joindre aux dingos. On accepte n’importe qui, en Australie.
    – N’importe qui? Même les Polonais?
    – Même les Polonais. Tu te rends compte à quel point on a besoin de peupler nos immensités!
    – Même les Polonais qui ont ouvert le passage pour aller à Rome en prenant le monastère du mont Cassin?
    – Même les catholiques fanatiques comme ça. Entre nous, si la bataille d’Italie a coûté si cher, c’est parce que le commandement militaire a fait venir ses héros de loin.
    – Ouais. Le commandement anglais a expédié ses Canadiens, ses Irlandais, ses Écossais et ses Australiens.
    – Et pour les récompenser d’avoir eu la couenne impénétrable, ils ont invité les Polonais.
    Les trois jeunes militaires continuèrent à s’épuiser en riant du mieux qu’ils pouvaient. Pour Jerzy, le rire était une torture qui lui tailladait toutes les chairs. Depuis l’attaque du mont Cassin, dont il était miraculeusement sorti vivant, contrairement à Wladek, il avait vécu comme un mort en sursis, surprenant tout le personnel médical par sa résistance. Il avait eu conscience de presque tout sauf du calendrier. Il n’avait pas cru bon d’ouvrir les yeux, n’ayant aucune envie de regarder la vie et encore moins de voir à quoi il ressemblait. À travers les décharges d’armes qui continuaient de lui brûler les chairs, il savait son corps en profonde mutation. Il sentait qu’une de ses jambes travaillait à se ressouder et qu’un de ses orteils ne cessait d’élancer et d’avoir froid. Non, il n’avait pas cru bon d’ouvrir les yeux parce qu’il en avait un recouvert de bandages qui lui enrobaient aussi une joue et une partie de la tête. Lorsqu’il entendit parler de la possibilité pour certains blessés d’être transportés en Angleterre maintenant que les bombardiers allemands avaient fini d’y fabriquer des ruines, Jerzy décida qu’il avait envie de voir la tour de Londres ou ce qu’il en restait. Une demi-tour peut-être puisqu’il ne la verrait probablement que d’un œil. L’idée d’être déplacé de nouveau lui avait soudainement donné l’impression que quelqu’un pensait à lui. Si on l’expédiait en Angleterre, ce n’était certainement pas pour l’y enterrer. Alors il ouvrit les yeux, ce qui provoqua tout un émoi. En moins de deux mois, on décida qu’il pourrait voyager. Quant à lui, il n’avait qu’un seul objectif: entendre chanter la messe de minuit en anglais, à Londres. Il apprit lavictoire des Alliés à Stalingrad, en Afrique du Nord et en Italie. Il sut même que Paris venait d’être libéré. L’Allemagne, qui subissait une perpétuelle saignée, ne cessait de s’anémier de jour en jour. Jerzy ferma les yeux en souhaitant que tous les soldats alliés se métamorphosent en sangsues.
    Lentement, très lentement, Jerzy a recommencé à rire. Maintenant, lui et ses compagnons australiens attendaient les brancardiers.
    – S’ils n’arrivent pas tout de suite, nous allons marcher pour nous rendre en Angleterre. Ce n’est pas ce qu’on nous avait promis.
    – Ouais.

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