Même les oiseaux se sont tus
alléger le poids de sa fatigue. Il ferma les yeux mais les rouvrit rapidement en entendant une détonation. Un de ses sacs venait d’exploser. Il vit son poulet mourir une seconde fois et le lapin disparaître en mille éclats. Une nouvelle détonation fit sauter le deuxième sac. Un chou et des carottes éclaboussèrent le mur à côté de lui. Il pensa à ce souper qu’ils n’auraient plus. Pendant ces instants, il ne chercha pas à voir qui assassinait ses provisions, mais se désola pour Zofia. Il ne songea pas non plus à sa vie. M. Porowski n’entendit que la moitié de la troisième détonation, son écho résonnant dans les oreilles d’un mort.
– Jan, va donc voir s’il arrive.
– Je viens d’entrer, maman, et je ne l’ai pas vu.
Zofia n’était pas vraiment inquiète. M. Porowski avait peut-être reporté sa visite au dimanche suivant à cause du mauvais temps. Elle s’installa pour coudre, lui donnant néanmoins jusqu’au couvre-feu pour arriver et se joindre à eux. Tomasz, lui, marcha jusqu’à la gare et rentra en haussant les épaules. Il s’assit dans le salon et prit un livre. Il feignit de lire, ses pensées étant toutes occupées à préparer les examens de ses étudiants qui, il en mourait de fierté, auraient tous leur diplôme. Jan s’installa dans sa chambre et enleva ses chaussures disproportionnées – il avait depuis longtemps élimé celles de son frère et en avait par hasard trouvé d’immenses qui avaient dû appartenir à un géant. Il se fittremper les pieds qui, quoique couverts de corne, n’en continuaient pas moins de suer le sang de leur transport de charbon. Il avait déposé un morceau de gâteau sous le lit d’Élisabeth. Celle-ci s’installa avec son violon et berça l’air de la maison pendant qu’Adam faisait une patience à deux avec Schneider.
Ce dernier se leva enfin et se dirigea vers sa chambre dont il ressortit en tenant un appareil photo. Il s’approcha de Tomasz et, s’excusant de le déranger, lui proposa de faire un ou deux clichés de la famille avant l’arrivée de M. Porowski. Tomasz fut immédiatement sur ses gardes.
– Pourquoi des clichés?
– Pour emporter avec moi à Munich quant la guerre sera terminée.
– Vous pensez vraiment que la guerre va mourir?
– Je ne pense rien. Je sais simplement, comme tout le monde, que celle-ci est déjà plus longue que la guerre de 14.
Adam s’était saisi de l’appareil et rigolait de voir son père la tête à l’envers.
– Tu es pendu par les pieds, papa.
Tomasz ferma les yeux. Cette innocente phrase venait d’assommer le plaisir qu’il avait eu dans ses pensées. Schneider le regardait toujours.
– Puis-je alors faire un cliché des enfants?
Zofia leva les yeux, regarda Tomasz et fit oui de la tête pendant que Tomasz, lui, disait non.
– Vous me pardonnerez,
Herr
Schneider, mais je n’en vois pas l’utilité.
– Moi, j’aimerais ça, papa. À part une mèche de cheveux, je n’ai aucun souvenir de moi pendant laguerre. Élisabeth avait parlé en douceur pour ne pas excéder son père. En vain.
– Les souvenirs du cœur, ma fille, ne sont-ils pas suffisants?
Schneider reprit l’appareil qu’il avait emprunté au quartier général et le rapporta dans sa chambre. Il en ressortit, l’air un peu chagrin.
– À quelle heure ferons-nous de la musique?
Jan venait de sortir de sa chambre et n’avait pas manqué un mot de la conversation. Il tendit une main en direction de sa mère pour lui montrer à quel point elle avait été écorchée par l’eau de vaisselle et par le récurage.
– Ce soir, je ne peux pas jouer. J’ai lavé trop de couverts et frotté trop de casseroles.
Jan se retourna en direction de Schneider et lui demanda sèchement si les Allemands prévoyaient faire d’autres réceptions.
– J’aimerais le savoir parce que je ne pourrai pas jouer à Noël si tout ça continue.
– À mon avis, vous ne jouerez pas à Noël.
Tomasz bondit sur ses pieds tandis que Zofia s’enfonça une aiguille dans le pouce. Élisabeth se figea et Adam, qui s’était enfui en direction de la chambre de l’Allemand, en ressortit avec l’appareil. D’une voix blanche, Tomasz demanda des précisions sur ce que venait de dire Schneider.
– J’ai simplement dit que le personnel des cuisines devra travailler pendant de longues heures.
Adam, ne sentant même pas qu’un courant d’air froid venait de pénétrer dans le salon, s’esclaffa de nouveau en
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