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Même les oiseaux se sont tus

Titel: Même les oiseaux se sont tus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
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de rêver aux champs qui devaient se mordorer en attendant la moisson. Pendant que les briques étaient enchâssées dans le mortier, il se demandait si les choux étaient gras, s’ils étaient petits ou si les vers les avaient rongés. Quand les béliers faisaient tomber les vestiges de murs bombardés et que la poussière de plâtre lui collait à la peau, il rêvait d’une rivière coulant le long d’un immense potager. Quand il s’arrêtait quelques minutes pour se sustenter et qu’il se lavait les mains poudrées et blanches de ciment, il n’avait qu’une envie, les revoir noires de terre.
    Pamela sentait bien que Jerzy n’était pas heureux. Elle savait qu’il avait espéré davantage pour sa nouvelle vie. Elle faisait tout son possible pour adoucir son existence, lui chauffant de lourds bacs d’eau pourson bain, lui massant de ses doigts habiles d’infirmière son dos ankylosé et sa jambe toujours enflée, raidie et douloureuse.
    Le mois de septembre passa, moins chaud, aussi gris, aussi monotone. Tous les soirs, Jerzy rentrait en se disant que le lendemain il se produirait quelque chose qui changerait sa vie. Mais les lendemains passaient et sa vie se faisait de plus en plus terne, de plus en plus insatisfaisante. Même Pamela souriait rarement. Il savait qu’il en était responsable, mais il ne se sentait plus l’énergie de jouer à l’éternel fiancé, son amante ne pouvant devenir sa femme. Aucun des rêves dans lesquels il l’avait invitée ne s’était réalisé. Si elle avait eu sur lui un effet presque miraculeux, il avait maintenant l’impression que, pour elle, il passerait sa vie dans la saleté sans jamais avoir la possibilité de voir le soleil autrement que derrière des gazes de poussière. Sa conscience de Polonais catholique commençait à lui parler de plus en plus fort, l’éveillant même la nuit, et il se demandait si son malheur – qu’est-ce qu’il détestait le reconnaître! – n’était pas une punition pour son libertinage. Ces pensées le faisaient frissonner. Il avait dédain de cette religion qui rendait timoré, mais il se sentait néanmoins de plus en plus mal à l’aise, délaissant le corps de Pamela pour essayer de se donner un peu d’air.
    Le mois de septembre tirait à sa fin quand, à l’insu de Pamela, il se retrouva dans les bureaux de l’armée anglaise, expliquant qu’il accepterait de partir pour l’Australie s’il en avait encore la possibilité.
    – Peut-on vous demander pour quelle raison vous choisiriez l’Australie?
    – Parce que j’y ai des compagnons d’armes qui m’ont invité à y habiter.
    – Et qu’est-ce que vous voudriez faire comme travail?
    – M’acheter une immense ferme et… avoir des dingos.
    Jerzy éclata de rire, imité par l’officier. Le simple fait de penser à quitter Londres lui redonnait le goût de rire.
    – Je vais voir ce que je peux faire pour vous faciliter les contacts. Auriez-vous un deuxième choix?
    Jerzy haussa les épaules. Il y avait le Canada, mais il s’était juré, après son séjour en Russie, que jamais il ne mettrait les pieds dans un pays dont les hivers pouvaient être plus froids que ceux de Cracovie.
    – En désespoir de cause?
    – Si vous voulez.
    – Peut-être le Canada, mais ce serait vraiment si l’Australie ne voulait pas de moi. Mes amis m’ont bien dit qu’ils prenaient tous les dingos, même les dingos polonais.
    Encore une fois, ils éclatèrent de rire, et Jerzy se releva, retenant son habituelle grimace de douleur. L’officier l’accompagna à la porte et lui tendit la main.
    – Je crois que la prochaine convocation vous parviendra de l’un ou l’autre des bureaux d’immigration. Bonne chance!
    Jerzy le remercia et ouvrit la porte.
    – Monsieur Pawulski, puis-je vous demander où vous avez été blessé?
    – Au mont Cassin, monsieur.
    – Toutes mes félicitations et tous mes remerciements. Cette bataille a été déterminante pour la victoire des Alliés.
    – Croyez-vous vraiment que cela a été une bataille historique?
    – Il n’y a pas de doute.
    Jerzy fut ému par ces paroles. Jamais personne ne l’avait remercié pour les trois années qu’il avait données à la paix. Il haussa timidement les épaules, quitta les bureaux militaires et rentra chez lui, où l’attendait un billet de Pamela l’avertissant qu’elle arriverait tard.

31
    Jan regardait la mer, l’estomac enfin raccroché dans la cage thoracique après y avoir roulé entre

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