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Même les oiseaux se sont tus

Titel: Même les oiseaux se sont tus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
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intelligent. Il venait chercher ses gâteries ici, ta famille n’en ayant pas.
    – Adam pour le premier homme de la nouvelle Pologne…
    Jerzy s’était parlé à lui-même et M me Grabska n’insista pas. Elle regarda son visage, si semblable à celui de son père et de son frère.
    – Et Jan et Élisabeth?
    – Comme je t’ai dit, personne ne les a revus. Je les ai longtemps attendus. Je les ai même cherchés partout, les appelant tout doucement comme on appelle un chat égaré qu’on ne veut pas effaroucher. Rien. Maintenant, j’ai la certitude qu’ils ont été tués eux aussi. Tu sais, quand les Allemands ont battu en retraite, ils tiraient sur tout ce qui bougeait. La seule personne que j’ai aperçue a été cet officier Schneider qui est revenu le soir du massacre et a emporté plein de choses. Il a même essayé de venir me parler mais je ne lui ai pas ouvert. Je ne l’ai plus jamais revu lui non plus. C’était un sinistre individu, je crois. Il n’y avait que le petit qui semblait bien l’aimer. Et ta mère, peut-être, qui lui trouvait un peu de bon.
    Jerzy faisait des efforts magistraux pour être digne de l’uniforme qu’il portait, quoique emprunté. Mais il se promit de commencer son deuil aussitôt dévêtu.
    – Qui sont ces gens qui habitent chez nous?
    – Je ne sais pas. Ils sont arrivés comme ça. Je n’ai rien dit. À cause du bébé. Vous aviez… ta mère avait conservé le couffin d’Adam. Je n’ai rien dit. Penses-tu que j’ai bien fait? Il y a tellement de Polonais qui n’ont plus de toit. Jerzy accepta de dormir sur le divan. Au petit jour, il était si opprimé qu’il se leva, s’habilla etsortit sur la pointe des pieds pour aller marcher dans les rues. Il se rendit jusqu’à l’université, dont les murs étaient revêtus de papiers et d’affiches. Certains, presque arrachés par le temps et les intempéries, dataient de quatre ans. Il marcha ensuite jusqu’au Wawel, là où les Allemands avaient pensé régner en rois et maîtres pour l’éternité. Puis il revint vers le Grand Marché, contourna le marché aux draps, traversa la place et pénétra dans l’église Notre-Dame. Il avait entendu le clairon mais pas les cloches. Le clocher était toujours vide. Un prêtre, avec aube et chasuble, récitait une messe de l’aurore. Jerzy n’osa pas aller communier, craignant que ses amours avec Pamela ne le précipitent en enfer. Il n’entendit plus rien du reste de la messe, ses pensées étant retournées à Londres. À l’
Ite missa est
, il avait décidé qu’il ne reviendrait pas à Cracovie. Plus personne ne l’y attendait. Il désirait pourtant viscéralement revivre ici. En se signant une dernière fois au sortir de la cathédrale, il se jura qu’il rentrerait quand la Pologne aurait recommencé à guérir, pour la millième fois de son histoire, et que lui-même pourrait y greffer une nouvelle famille.
    Le trajet de retour fut pénible. Les jours s’allongeaient indûment et les nuits languissaient effrontément. Jerzy avait tout le corps qui lui démangeait sous l’uniforme de laine mais pas autant que les yeux qui ne cessaient de s’humecter et qu’il ne pouvait que tamponner en attendant d’être rendu chez Pamela pour pleurer dans ses bras. Il avait tant besoin de bras pour le réconforter.
    Londres lui apparut lugubre, cent fois plus triste que Cracovie. Seul le logement de Pamela sembla sourire un peu quand il y entra. Pamela n’y était pas. Il regardasa montre et sut qu’elle serait à l’hôpital pendant encore de nombreuses heures. Il déposa religieusement le violon d’Élisabeth avant d’enlever l’uniforme et de le suspendre dans l’armoire, là où il avait été pendant des années.
    Jerzy se laissa choir dans le seul fauteuil de la pièce. Ce n’est qu’à ce moment que tout son voyage lui assaillit le cœur. Il commença par verser une larme discrète. Une deuxième suivit. La digue de son chagrin s’ouvrit enfin et toute l’eau de son corps se déversa sur sa figure, coulant ensuite sur sa poitrine avant de se réfugier dans l’aine. Quelques gouttes pourtant s’agglutinèrent dans le trou du nombril pour lui rappeler qu’il serait toujours le fils de Zofia et de Tomasz.

29
    Depuis la mort accidentelle de Marek un an plus tôt, Élisabeth n’avait pas vraiment retrouvé ses esprits. Elle mangeait en silence, dormait peu, ne pleurait jamais. Elle avait suivi Jan jusqu’à Amberg, n’avait pas réagi au camp

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