Même les oiseaux se sont tus
n’ayant d’yeux que pour les vagues et le petit bâtiment qui les précédait toujours. Jan ne cessait de décrire tout ce qu’ils voyaient, se demandant quellescôtes ils longeaient. Tout à coup, Élisabeth poussa un cri si strident que Jan en défaillit presque de peur. Élisabeth se boucha les yeux et se laissa tomber en hurlant. Jan regarda autour de lui. Tous les yeux étaient tournés vers eux. S’il en était terriblement gêné, il en était davantage troublé. Il s’accroupit aux côtés de sa sœur et tenta de comprendre ce soudain éclat. Alors, avant même qu’il n’ait pu lui poser une seule question, elle commença à parler, d’une voix apeurée, haletante et presque éteinte.
– Tu te souviens, Jan? Tu te souviens de l’
Empress of Britain?
– Empress of Britain?
Non.
– Jan! C’est le bateau plein d’enfants que les Allemands ont coulé. Voyons! C’est le bateau qui devait les emmener au Canada.
– Je ne m’en souviens pas…
– Jan, tu sais ce que c’est, ce bateau qui nous escorte?
– Non, pas vraiment, mais c’est probablement pour qu’on évite les récifs.
Jan était renversé par la cohérence des propos de sa sœur et par l’immensité de sa peur. Elle se redressa d’un seul élan.
– Je veux descendre, Jan, je veux descendre! Je veux retourner sur la terre ferme! Vite, Jan, sinon nous allons mourir! Il faut que tu me suives! Il faut que nous partions d’ici!
Jan tenta de la rassurer, lui expliquant qu’ils ne pouvaient plus rebrousser chemin. Élisabeth avait les yeux exorbités et cherchait son souffle.
– Nous allons mourir, Jan! Je le sais! Et tu devrais le savoir aussi!
Elle le supplia de plus en plus fort de l’emmener loin du bateau. Jan ne savait plus que faire. Elle était si terrorisée qu’elle commença à grimper sur le garde-fou. Jan appela des passagers à son secours et ils étaient trois à la retenir quand un membre de l’équipage arriva et ordonna à Élisabeth de descendre.
– Non, je ne veux pas mourir!
– Vous n’allez pas mourir.
– Oui!
L’officier lui prit le bras tellement sèchement que Jan faillit le frapper. Élisabeth se tut et le suivit en sanglotant et en tentant de se dégager comme si elle avait été conduite à la guillotine. Jan marcha derrière eux, sous le regard pétrifié ou attristé des autres passagers. Ils montèrent jusqu’à la timonerie. Là, Élisabeth fut assise sur une chaise et elle se figea. Jan demeura à l’écart.
– Si on vous sort d’Europe, mademoiselle, ce n’est certainement pas pour vous faire tuer.
Élisabeth se releva d’un bond et montra du doigt le bateau qui les précédait, criant qu’elle savait qu’il n’était pas là pour les escorter mais qu’il cherchait les mines flottantes.
– Est-ce que vous avez déjà vu quelqu’un mourir parce qu’il a marché sur une mine?
Jan comprit tout. Le souvenir de ce bateau coulé et sa peur des mines l’avaient tellement terrorisée qu’elle venait de reprendre contact avec la réalité.
– Calmez-vous, mademoiselle. Nous avons des radars et le dragueur de mines aussi. Il n’y a aucun danger. Si on en repérait une, il l’éloignerait et la ferait exploser plus loin, beaucoup plus loin. Loin des enfants. Loin des gens. Loin de vous.
Jan entraîna sa sœur hors de la timonerie et trouva un coin paisible, entre deux chaloupes de sauvetage.
– Pleure, Élisabeth. Pleure. Maman disait toujours qu’il fallait arroser nos peines. Allez, pleure ici.
Il avait indiqué le creux de son épaule et Élisabeth s’y réfugia. Elle sanglota pendant tout le jour. Elle sanglotait encore pendant que le soleil se couchait.
– Notre escorte nous a quittés, Élisabeth. Il n’y a plus de mines.
Elle pleura alors de soulagement et s’endormit dans les bras de son frère. Lorsque Jan la vit détendue, bouffie mais détendue, il se permit quelques épanchements de joie. Élisabeth avait réussi à renaître.
30
Jerzy transpirait abondamment en transportant un lot de briques. Depuis son retour de Cracovie, il avait décidé de quitter l’armée tout en demeurant réserviste. Il avait aussi mis ses rêves en veilleuse, acceptant de travailler dans les chantiers. Pamela n’avait pas discuté sa décision, semblant assez heureuse de voir qu’il ne la laisserait pas.
Le mois d’août 1947 avait été exceptionnellement chaud et Jerzy eut énormément de difficulté à supporter l’humidité grise de Londres. Il ne cessait
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