Même les oiseaux se sont tus
monté à bord pour les préparer à passer à la douane et à l’immigration. Élisabeth regarda son frère, le front plissé, et toussota pour attirer son attention, le plus discrètement possible. Elle se pencha à son oreille, lui chuchota quelque chose et Jan acquiesça si discrètement que seule sa sœur complice put percevoir le signe. Ils sortirent leurs violons de leurs étuis et, profitant de la lenteur de la marche des voyageurs, commencèrent à les épousseter, à serrer les cordes, à bander les archets. Ils mirent beaucoup de temps à préparer leurs instruments. Tout doucement, ils entrèrent enfin dans le hangar de la douane.
Jan tiqua. Pendant quelques minutes, il eut l’impression que leur choix avait été une erreur; que la fin de la guerre était une illusion et qu’ils venaient d’entrer dans un camp comme ceux dont ils avaient entendu parler à Amberg.
– Élisabeth, je pense que j’ai peur.
Pour la première fois depuis son départ de Cracovie, il aurait craqué, n’eût été l’intervention de sa sœur qui lui frôla tout doucement la joue du revers de sa main.
Jan réussit à se ressaisir et se dirigea vers l’agent d’immigration qui semblait parler le français. Devant lui, un couple de juifs pleurait et gesticulait de désespoir, ne voulant pas se départir de saucissons secs, précieusement cachés durant toute la traversée.
– Mais, lieutenant, cette viande est cascher! Il n’y a rien de mauvais là-dedans!
– D’abord, je ne suis pas lieutenant, et, on vous l’a déjà dit, vous ne pouvez pas apporter de viande au Canada.
– Mais elle est cascher et c’est pour offrir en cadeau à nos frères qui nous attendent!
– Ils habitent ici depuis longtemps?
– Depuis avant la guerre, major.
– Je ne suis pas major… S’ils habitent ici depuis si longtemps, ils ont certainement de la viande cascher, croyez-moi.
– Mais, colonel, cette viande est la meilleure d’Europe et…
– Je ne suis pas colonel et il y a des gens qui attendent. S’il vous plaît, déposez toutes vos saucisses sans discuter.
Le couple juif soupira sa désillusion, et l’homme, qui probablement pour la première fois depuis des années sentit qu’il pouvait quand même parler, grimaça en adressant un piquant reproche au pauvre agent d’immigration, qui commençait à s’impatienter.
– Je croyais que le Canada était un grand pays de liberté!
– C’est vrai. C’est pour ça que vous avez le droit d’en douter, et même de le dire, monsieur. Bienvenue, et je ne suis pas militaire.
Il tamponna les papiers, sourit vraiment gentiment, pour la plus grande fascination de Jan, qui cessa de trembler et de se croire dans un camp de la mort dont il avait entendu parler par les militaires, terrible illusion causée par ceux qui l’avaient précédé à table.
– Vous parlez le français?
– Oui.
Jan exhiba tout son bagage, voyant dans l’œil de l’agent davantage de fatigue et de compassion que de désir de chercher noise. L’agent lui demanda devider ses poches et l’interrogea sur les lunettes qu’il trouva recroquevillées dans un mouchoir moribond.
– Ce sont les lunettes de mon père.
L’agent lui demanda ensuite pourquoi il apportait de la broche.
– Ce n’est pas de la broche, monsieur. Ce sont les cordes du violoncelle de mon père. Nous n’avons pas pu l’apporter avec nous parce que c’était trop encombrant.
L’agent lut la tristesse du jeune devant lui et s’empressa de changer de sujet en désignant l’étui à violon. Jan l’ouvrit et montra l’instrument rutilant de propreté.
– J’en ai joué partout depuis que je suis parti de Cracovie. Il me manque une corde. Mais, si vous voulez, je peux prendre le violon de mon frère, et ma sœur et moi nous pourrions vous jouer un petit morceau. Voulez-vous?
– Non, mais c’est bien parce que nous n’avons pas le temps. Mais pourquoi trois étuis?
– Parce qu’il y a celui de notre mère, c’est celui que ma sœur utilise, et celui de mon frère, au cas où nous le retrouverions un jour.
L’agent comprit que ces enfants avaient emporté toute l’histoire de leur famille dans trois étuis, quatre cordes et un mouchoir. Son travail lui pesa soudainement beaucoup. Heureusement, il n’y avait rien d’illégal dans leurs bagages. Il aurait eu horreur de les en priver.
– Vous avez de l’argent?
Jan sortit les quelques dollars américains qu’il avait gagnés à Amberg. L’officier
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