Même les oiseaux se sont tus
sans arrêt d’avoir du plâtre dans le nez, les yeux et les oreilles, et aujourd’hui il s’en moquait.
– Jerzy, tu as reçu quelque chose des bureaux d’immigration canadiens.
– Canadiens?
Il fit un énorme effort pour cacher sa déception. Il aurait été inconvenant de lui montrer qu’encore une fois il était insatisfait de son sort. Pamela ne fut cependant pas dupe.
– Ouvre. Peut-être qu’on t’informe que tu es refusé.
Jerzy la regarda, presque insulté qu’on pense qu’il était possible qu’on ne veuille pas de lui. Il déchira l’enveloppe et lut rapidement la lettre. Assommé, il s’assit dans le fauteuil. Pamela craignit subitement un refus. Jerzy avait trop souffert pour essuyer une rebuffade, elle le savait. Il demeura coi longtemps, relisant la lettre deux autres fois.
– Je suis convoqué en entrevue dans deux jours.
Soulagée, Pamela lui sourit en lui demandant ce qu’il comptait faire.
– Y aller! Je ne peux quand même pas me désister pour une entrevue!
Ce soir-là, Jerzy s’endormit en faisant la moue. Quelque chose s’acharnait contre lui. Chaque fois qu’il se faisait une promesse, la vie le forçait à la briser. Le lendemain, veille de sa rencontre, il fut littéralement torturé de recevoir une lettre de l’immigration australienne. Il trembla de tous ses membres en l’ouvrant. Ce n’était finalement qu’un accusé de réception qui semblait reporter à 1948 l’étude de sa demande d’immigration. Il jeta la lettre avant que Pamela n’entre, marcha de long en large dans la pièce exiguë, traînant toujours la jambe droite, et se fit la réflexion que, de toute façon, il n’était plus un choix de première classe, étant donné son handicap. Il se planta alors devant le miroir de l’armoire, examina sa physionomie pendant de longues minutes et décida que c’était toujours sa tête qu’il devait vendre. S’il ne raffolait pas de ses traits, il était quand même heureux d’y reconnaître un Pawulski, comme il l’avait fait la première fois qu’il avait osé se regarder, en Italie. Les Pawulscy, il le savait, avaient l’honnêteté inscrite sur le front. Plus tard, dans quelques années, quand il aurait réussi dans ce pays qui accepterait peut-être sa candidature, il pourrait aller les voir, ces dingos dont il avait tant entendu parler.
L’entrevue se déroula extraordinairement bien. Il avait l’humour à la bouche du début à la fin, blaguant parfois en polonais pour dérouter son interlocuteur.
– Que connaissez-vous du Canada?
– Les bisons de l’Ouest et les immenses plaines couvertes de blé. Je sais quelques bribes d’histoire, entre autres celle des missionnaires et celle de la bataille des plaines d’Abraham. Je connais assez bien le régime politique et le nom des neuf provinces. J’ai déjà entendu parler de Laurier et de King, évidemment.
– Vous dites que vous voulez être cultivateur, mais que faisait votre père?
– Il était professeur d’histoire à l’université de Cracovie, et ma mère, maître de musique.
L’agent d’immigration enleva ses lunettes pour mieux le regarder.
– Vous pourriez enseigner, vous aussi, non?
– Non. J’avais dix-sept ans quand la guerre a éclaté. Je n’ai pas de diplôme.
– Qu’en ont dit vos parents?
Jerzy fut étonné par cette question. Il avait vingt-quatre ans et, depuis des années, personne n’avait parlé de lui comme étant l’enfant de ses parents. Il ne savait pas comment ses parents avaient réagi à son départ. Il devait se fier aux impressions de M me Grabska.
– Je crois que mon père était fier, parce qu’un homme est toujours fier d’un fils qui défend sa patrie...
– Avez-vous par hasard fait partie de la cavalerie qui, raconte-t-on, s’est défendue contre les tanks?
– Non.
Jerzy songeait toujours à l’autre question qui lui avait été posée. Depuis huit ans, il n’avait fait qu’imaginer la réaction de ses parents. Il espérait avoir bien dépeint le sentiment de son père.
– Ma mère, elle, m’a simplement supplié de ne pas me laisser engloutir par la terre. Ni vivant ni mort.
L’agent d’immigration prit quelques notes. Il leva encore les yeux pour l’examiner, perplexe.
– Combien de langues parlez-vous?
– Trois. Le polonais, le français...
– Le français aussi?
– Oui. Nous avions toujours des jeunes Françaises qui travaillaient au pair à la maison. Toutes cesdemoiselles étaient
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