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Même les oiseaux se sont tus

Titel: Même les oiseaux se sont tus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
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comprendre.
    – Savez-vous pourquoi nous n’avons plus eu de rationnement? Parce que nous n’avions plus rien à rationner. Non, je mens. Nous nous sommes rationnés sur nos laitues quand il y avait des laitues. Une feuille par deux heures.
    Elle avait commencé à marcher en parlant, passant de l’étalage de fruits et légumes à l’étal de boucherie.
    – Nous nous sommes rationnés aussi sur la viande. Trois bouchées de lièvre par repas. Pas plus. Et un lièvre, c’était toujours par chance qu’on en attrapait. C’est vrai.
    Jan la regarda, allant d’étonnement en étonnement. Sa sœur, habituellement si pondérée, pouvait se changer en une espèce de furie incontrôlable. Elle restait plantée devant les fruits et Jan comprit qu’elle y était pour s’assurer qu’il n’y avait vraiment pas de fraises.
    – Vous êtes très gentil, monsieur Favreau, mais ne me faites pas pleurer avec un peu de rationnement. Parce que la guerre, ce n’est pas ça. La guerre, c’est dormir d’un œil le jour et marcher la nuit. La guerre, c’est avoir peur sans arrêt. La guerre, c’est mourir par amour en voulant cueillir des fraises pour sa femme. La guerre, c’est avoir tellement mal qu’on perd la notion du jour et de la nuit, du temps et de la vie. La guerre, c’est vouloir mourir parce qu’on se sent coupable d’avoir survécu.
    Elle avait parlé si rapidement et avec tant d’intensité qu’elle en étouffa. Jan la prit dans ses bras, faisant comprendre à M. Favreau qu’il était doublement désolé, et pour elle et pour lui. M. Favreau s’approcha d’elle mais elle le repoussa. Il monta chez lui afin de préparer leur bagage pour le départ, les laissant seuls. L’ami, qui n’avait pas manqué un son de l’esclandre tout en n’y comprenant rien car Élisabeth avait terminé sa tirade en polonais, préféra se réfugier dans la glacière à viande après avoir enfilé un épais lainage.
    – Excuse-moi, Jan.
    – Tu lui as fait de la peine.
    – Je sais.
    Elle s’essuya les yeux et monta derrière M. Favreau. Au moment où elle approchait du salon, elle l’entendit dire à sa femme qu’il les aimait, elle et son frère Jan.
    – De tous ceux qu’on a rencontrés, ils sont les plus touchants. Les plus courageux aussi. Je n’ai pas osé lui répondre, à elle, que j’avais connu et souffert la Première Guerre. Pour l’instant, toute la douleur du monde lui appartient. Un jour, elle pourra voir qu’elle est loin d’en être l’unique propriétaire.
    Élisabeth fut émue jusqu’à la moelle. Elle entra dans le salon et se dirigea vers l’étui à violon de sa mère. Jan arriva à son tour et, sans dire un mot, prit celui de Jerzy. Ils prièrent les Favreau de s’asseoir et, pour les remercier de leur accueil et se faire pardonner la maladresse d’Élisabeth, jouèrent un duo qu’ils réussirent comme s’ils n’avaient pas négligé une seule journée d’exercice. Les Favreau leur en furent reconnaissants mais M me Favreau put rire d’étonnement lorsque, après avoir joué un classique de Schubert, ils enchaînèrent avec le
Pot-pourri
.
    – Qui vous a montré ça?
    – Le père Villeneuve qui nous attend au Manitoba.
    Ils quittèrent M me Favreau, qui restait à l’épicerie, et partirent en direction du boulevard Saint-Joseph. De là, M. Favreau les conduisit sur le mont Royal. Jan y ramassa des feuilles rouges qu’il mit dans le livre que M. Favreau n’avait pas oublié d’apporter.
    – Je viens de me souvenir de mon herbier, Élisabeth. Je l’ai eu l’été que la guerre a éclaté.
    – Je m’en souviens très bien aussi. On ne doit jamais se lasser de voir des automnes comme ça.
    – Non. Si on est attentif, on remarque que les feuilles changent de couleur chaque année, selon les gelées. Parfois elles sont roses, parfois orange, parfois bourgogne, parfois jaunâtres. Tu as raison, Élisabeth, on ne s’en lasse jamais.
    Ils redescendirent de la montagne du côté de l’oratoire Saint-Joseph.
    – Ça vous plairait d’y aller?
    Ils acceptèrent, mais, une fois à l’intérieur, Favreau vit que leur ferveur n’était pas trop vive. Il avait oublié que le culte a un décor et que cet oratoirefroid et moderne ne ressemblait en rien à ce qu’ils connaissaient. Par contre, de retour à l’extérieur, ils s’empressèrent de regarder le carillonneur sonner harmonieusement les cloches à grands coups de poing sur le clavier.
    M. Favreau décida

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