Même pas juif
d’eux pleurait. Les adultes,
debout, les surveillaient.
Quelqu’un a enlevé l’enfant qui pleurait de sa monture. J’ai
foncé. Youri m’a rattrapé.
— Non.
— Pourquoi ? ai-je demandé en me débattant.
— Ce n’est pas pour toi.
J’ai cru qu’il plaisantait.
— Tout est pour moi ! ai-je rigolé.
J’en étais persuadé.
Il m’a agrippé le cou, l’a serré jusqu’à ce que je ne puisse
plus respirer. A approché son visage tout près du mien. J’ai
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senti son haleine parfumée au cornichon.
— Non !
Tournant le dos au manège, nous nous sommes éloignés en
direction de l’orphelinat.
De ce jour, je me suis endormi avec les échos de la musique
entraînante dans ma tête. Des chevaux pailletés d’or
tournoyaient dans mes rêves. Au matin, il n’y avait que de la
paille dans mes oreilles.
Lorsque nous sortions ensemble, j’essayais d’entraîner
Youri vers le manège. Dès que nous nous en approchions, je
sentais sa main se crisper sur mon col.
Je suis sûr qu’il savait que je lui désobéissais, pour peu que
je sois seul. Plus d’une fois, je me suis rendu tout droit vers les
beaux chevaux. Ils n’étaient pas tout le temps en mouvement.
— Il y a des coupures d’électricité, m’avait dit Youri un jour
pour m’expliquer pourquoi il arrivait que notre ampoule ne
s’allume pas, du temps que nous vivions comme des rois dans la
cave du salon de coiffure.
Du coup, la fête n’en était que plus belle lorsque les chevaux
dansaient. J’étais incapable de résister. La première fois que je
suis retourné là-bas tout seul, j’étais bien décidé à monter sur
l’un d’eux. Le sol était couvert d’une épaisse couche de neige,
mais je . ne ressentais pas le froid. Toutes les selles dorées
étaient occupées. Je suis resté à regarder tournoyer les chevaux
inlassablement. Je crois que mes yeux devaient être aussi
grands que les leurs, mon sourire aussi large que ceux de tous
ces enfants rieurs réunis.
Aussi, quand les animaux ont ralenti et se sont arrêtés,
quand la musique s’est tue, quand les adultes qui patientaient se
sont précipités pour soulever les petits cavaliers, je n’ai pas
hésité. J’ai bondi sur la plate-forme, ai grimpé sur une monture.
Le plus beau de tous ces beaux chevaux. Je l’avais repéré tout de
suite. Il était noir comme la poussière de charbon sous mes
ongles. Il avait des glands dorés derrière les oreilles, une queue
qui flottait au vent, trois sabots dorés sur le sol et un levé. Sa
tête se dressait, majestueuse, et sa bouche était ouverte comme
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pour crier à tous les chevaux du monde : « Regardez-moi ! »
Durant ces quelques secondes, j’ai été plus haut et plus grand
que n’importe qui.
Puis un enfant a crié :
— Il n’a pas de ticket !
Un homme s’est approché, a tendu la main et a dit :
— Ton ticket.
— C’est quoi, un ticket ? ai-je demandé.
L’homme m’a arraché de ma monture et m’a jeté tête la
première dans la neige.
Un instant plus tard, une fillette aux cheveux dorés comme
les glands du cheval a tendu le doigt vers moi en hurlant :
— C’est un sale juif !
Je me suis relevé. Tout le monde me dévisageait, même les
renards sur les épaules des dames.
— C’est même pas vrai, d’abord ! ai-je braillé. Je suis
tsigane !
— Hou !
La fillette aux cheveux d’or s’est pincé le nez et s’est sauvée
en poussant des piaillements. Les autres enfants ont tiré sur les
mains des dames comme des chiens sur leur laisse. Ils ont
brusquement tendu leur figure vers moi.
— Sale tsigane ! Sale tsigane !
Une à une, les petites filles ont échappé à leur mère. Elles se
sont ruées vers moi pour me donner des coups de pied avant de
retourner en courant, ravies, vers les dames. De leur côté, les
garçons me bombardaient de boules de neige.
Je me suis enfui.
Mais je suis revenu le lendemain, le surlendemain. Quand
les chevaux bougeaient, je les observais de loin, envieux.
Un jour que j’avais apporté du charbon à l’orphelinat tout
proche, j’ai demandé au docteur Korczak :
— Est-ce que les orphelins font du manège ?
Il arrivait que les orphelins jouent dehors, mais je ne les
avais jamais vus sur le carrousel.
— Non, m’a-t-il répondu, une lueur de tristesse dans les
yeux. Un jour, peut-être.
J’ai contemplé son visage rond et son fabuleux bouc blanc.
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— Pourquoi ? Parce qu’ils
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