Même pas juif

toujours. Si elle ne me
    surprenait pas en train de chercher à manger, elle m’attendait
    près du trou. Nous repassions le mur ensemble, moi d’abord,
    elle ensuite – c’était devenu une habitude depuis la nuit où
    nous avions découvert Olek.
    Jusqu’au jour où, en revenant, je n’ai pas réussi à me
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    faufiler dans le passage.
    J’ai retiré mon manteau. L’ai fourré dans le trou.
    Malheureusement, je ne passais toujours pas. J’ai paniqué.
    Arrachant mon pantalon, je me suis enfoncé dans l’espace et me
    suis tortillé jusqu’à ce que je parvienne à mes fins. Je me suis
    rhabillé.
    Janina riait tellement que ses choux ont roulé par terre.
    Le lendemain, à la boucherie, j’ai découvert un bel os parmi
    les briques brûlées. Le tendant à Gros Henryk, je lui ai dit :
    — Bats-moi.
    Gros Henryk était éberlué. Je m’étais douté qu’il ne
    comprendrait pas.
    — Je deviens trop grand, ai-je expliqué à Enos.
    Je me suis allongé sur le sol. Ai soulevé la plante de mes
    pieds en direction de Gros Henryk.
    — Frappe mes pieds, lui ai-je intimé. Je dois arrêter de
    grandir.
    — Vas-y, a rigolé Enos. Sinon, je m’en charge moi-même.
    Le premier coup de Gros Henryk m’a envoyé valser sur le
    sol givré comme un traîneau sur la glace. Tout le monde a éclaté
    de rire. Enos a poussé sur mes épaules pour m’empêcher de
    glisser. Puis il a ordonné à Gros Henryk de continuer.
    Gros Henryk était en train de frapper la plante de mes pieds
    quand a retenti le meuglement. Nous l’avons tous entendu. Je
    n’en ai pas cru mes oreilles. J’avais guetté la vache pendant des
    mois et des mois. J’avais tant envie de faire plaisir au docteur
    Korczak ! Et voilà qu’elle était là, aussi audible qu’un sifflet de
    Bouse. Sauf que ses meuglements avaient quelque chose
    d’anormal.
    Elle était toute proche. Nous avons couru dans la rue. Une
    cour. Elle était là, galopant sur un balcon, une vache féroce et
    ardente, hurlant, pourchassée par un Bottes Noires hilare. Le
    lance-flammes a vomi du feu jusqu’à ce que la bête saute par-
    dessus la rambarde. Elle s’est envolée dans un festival d’ailes
    orange avant de s’écraser au sol.
    Quelqu’un a traversé la cour à toutes jambes jusqu’à
    l’animal incandescent. Puis ça a été la curée.

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    — Cette année, tu le célébreras en notre compagnie, a décrété
    M. Milgrom.
    Il parlait de la fête appelée Hanoukka10. C’était le premier
    mot juif que j’avais appris. M. Milgrom avait souhaité
    m’associer dès l’année précédente, mais son épouse avait refusé.
    — Non, avait-elle gémi depuis son matelas. Il n’est pas juif.
    Je ne suis pas sa mère.
    — Ne fais pas attention, m’avait consolé M. Milgrom, elle
    n’est plus elle-même. J’avais donc été exclu des festivités. Huit
    nuits durant, j’étais resté assis dans mon coin. À regarder.
    L’époque de Hanoukka était revenue, Mme Milgrom était
    partie, et oncle Shepsel était sorti se balader, vu qu’il était
    protestant, maintenant. Et moi, j’en étais ! Le premier jour, M.
    Milgrom m’a raconté l’histoire de Hanoukka. Il y avait très
    longtemps, les Grecs avaient essayé de détruire tout ce qui était
    juif. (« Tu vois, ce n’est pas nouveau. ») Les juifs, moins
    nombreux, n’avaient aucune chance mais devaient quand même
    résister. Ils avaient préparé la bataille en allumant une lampe à
    huile. La fête serait courte, parce qu’il ne restait d’huile que
    pour une journée. Puis un miracle s’était produit – la lampe
    avait brûlé huit jours.
    — Hanoukka, c’est une semaine pendant laquelle nous nous
    rappelons notre histoire. Nous réapprenons à être joyeux et
    fiers d’être juifs. Nous reprenons conscience de notre éternité.
    C’est notre moment à nous. Nous nous fêtons nous-mêmes.
    Nous devons être joyeux. C’est une chose qu’il ne faut jamais
    oublier : être joyeux. Jamais !
    « Joyeux. »Je n’avais pas entendu ce mot depuis que M.
    Milgrom l’avait prononcé à la dernière fête de Hanoukka. Je lui

    10 Fête juive se déroulant aux environs du mois de décembre, pendant laquelle on
    allume, huit jours durant, des bougies en souvenir de la délivrance de Jérusalem de la
    domination grecque en 167 avant J.-C.
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    ai posé la question qui avait hanté mon esprit depuis.
    — Papa, c’est quoi, joyeux ?
    Il a baissé les yeux sur moi, puis les a levés au