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Même pas juif

Même pas juif

Titel: Même pas juif Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jerry Spinelli
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en
    ramasser quelques-uns. En même temps, j’étais plutôt content,
    parce que je n’avais pas envie de voir Mme Milgrom finir en
    dessous d’un tas.
    C’était la première fois que je marchais si lentement. Même
    lorsque je ne m’enfuyais pas, je courais ou, du moins, j’avançais
    d’un bon pas. Je faisais tout vite. Je me suis efforcé d’adopter
    l’allure de M. Milgrom et de Janina. Il me donnait la main. Je
    n’arrêtais pas de me dire : « Ma mère est morte. Elle est dans la
    charrette. Je ne dois pas aller plus vite qu’elle. »
    Nous sommes passés devant l’orphelinat. Le docteur
    Korczak se tenait sur le seuil. Il a joint les mains. A fermé les
    yeux. A murmuré des mots. Je ne les ai pas entendus, mais j’ai
    vu la buée sortir de sa bouche dans l’air hivernal.
    Beaucoup de femmes venaient en sens inverse. Toutes
    portaient des manteaux et des étoles en peau de renard ou
    d’autres bêtes. Elles semblaient très tristes. Certaines
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    pleuraient. L’ordre venait de tomber : elles devaient déposer
    leurs fourrures à la gare Stawki.
    Un homme marchait au pas. Il n’avait ni chemise ni
    manteau, ni chaussures ni morceaux de tissu aux pieds. Il
    produisait des sons aigus à l’aide d’un pipeau d’argent qu’il
    portait à sa bouche. Il a agité sa flûte en criant :
    — Enfants ! Petits enfants ! Venez avec moi à la montagne
    sucrée ! Suivez-moi !
    A la barrière du cimetière, sur la rue Gesia, M. Milgrom a
    tendu un autre flacon de cachets au gardien qui nous a laissés
    entrer. Nous avons gagné un coin vide. Les aides du croque-
    mort ont dégoté des pelles et creusé un trou. Un corbeau était
    perché sur une tombe voisine qui menaçait de s’écrouler. Il m’a
    regardé fixement. J’ai cru qu’il me parlait. Il répétait toujours
    les mêmes mots de sa voix rauque. Je ne le comprenais pas.
    Laissant M. Milgrom, je me suis approché.
    — Répète un peu ! lui ai-je lancé.
    Le corbeau a criaillé un dernier mot avant de s’envoler.
    Alors qu’on couchait Mme Milgrom dans sa tombe, la
    première bombe est tombée. De l’autre côté du mur. Je l’ai
    sentie dans mes pieds. J’ai levé les yeux. Il pleuvait des bombes.
    Le sol tremblait, comme si tous les morts avaient décidé de
    quitter leur tombe en même temps. Le croque-mort et ses
    aides, les gardes du cimetière, tous se sont enfuis. M. Milgrom
    est resté planté là, les yeux fixés sur le trou.
    Une bombe a explosé à quelques mètres de là, côté ghetto
    cette fois. D’autres ont suivi. M. Milgrom nous a regardés.
    — Les enfants, a-t-il dit.
    Nous soulevant, il nous a déposés à tour de rôle dans le trou
    avec Mme Milgrom.
    — Couvrez vos yeux, nous a-t-il ordonné.
    Nous nous sommes blottis l’un contre l’autre sur le bout de
    couverture, aux pieds de Mme Milgrom. La terre battait comme
    un cœur. Lorsque j’ai jeté un coup d’œil en l’air, j’ai vu M.
    Milgrom assis au bord de la tombe, les jambes pendant dans le
    vide.
    Janina a tiré quelque chose de sa poche. C’était une cosse de
    lait d’âne. Elle avait dû l’arracher à la plante qui poussait dans la
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    ruelle. Elle paraissait vide. Janina a soufflé dedans. Trois ou
    quatre flocons se sont envolés. Ils ont grimpé. Ont dépassé M.
    Milgrom. Ont rejoint le rectangle gris du ciel strié par les larmes
    noires des bombes.

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33

    Lorsque le bombardement a cessé, nous sommes rentrés. Nous
    sommes tombés sur oncle Shepsel.
    — Ce sont les Russes ! criait-il à la cantonade. Nous sommes
    sauvés ! Sauvés !
    Il dansait dans la rue. Il était bien le seul.
    En haut, nous avons trouvé des gens dans notre chambre. À
    force d’amener par camions entiers de nouveaux juifs tous les
    jours, ça arrivait partout. Notre tour était venu.
    — Vous êtes chez nous ! a aboyé Janina.
    Tout le monde s’est regardé en chiens de faïence. Personne
    n’a pipé mot. Poussant son coffre à médicaments et la table
    dans un coin de la pièce, M. Milgrom a dit aux gens :
    — Vous pouvez garder le matelas.
    Je suis parti rejoindre les garçons. Debout au sommet des
    ruines de la boucherie, Enos riait. Les autres le fixaient, hébétés.
    — Qu’est-ce qu’il y a de drôle ? ai-je demandé.
    — Ce qu’il y a de drôle ? a répété Enos en s’esclaffant de plus
    belle. Tout ! Ils nous parquent ici comme des animaux. Ils
    construisent un mur autour de nous. Ils nous affament. Nous
    gèlent. Nous battent. Nous

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