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Même pas juif

Même pas juif

Titel: Même pas juif Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jerry Spinelli
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tirent dessus. Nous pendent. Nous
    incendient. Et devine un peu ! (Tendant le bras, il a tapoté le
    crâne de Gros Henryk.) Devine quoi !
    — Quoi ? a marmotté Gros Henryk.
    — Je vais t’expliquer, moi ! a clamé Enos en riant de
    nouveau. Les Russes débarquent et disent : « Ce n’est pas
    suffisant. Vous autres, les nazis, vous êtes encore trop sympas
    avec eux. Alors, on va les bombarder. » Et c’est ce qu’ils font. (Il
    a levé les bras au ciel.) Ils nous bombardent ! Vous ne trouvez
    pas que c’est le truc le plus drôle de votre vie ? a-t-il ajouté en
    nous dévisageant.
    Personne n’a ri. Pas même Kouba.

    146

    Drôles ou pas, les bombes ont continué à tomber. L’hiver
    était glacial. Les gens avaient faim. Des milliers d’orphelins,
    déguenillés et meurtris, hantaient les rues, s’avachissaient sous
    les portes cochères, quémandant de la nourriture, des
    vêtements, n’importe quoi. On n’avait rien à leur donner. Ils
    dépérissaient, grelottaient, mouraient dans la neige, leurs bras
    gelés tendus en une ultime prière. Ceux qui survivaient n’étaient
    que lambeaux et yeux. C’était ça, le ghetto : un endroit où les
    enfants rapetissaient au lieu de grandir.
    Je n’arrivais pas à croire à un temps où les gars et moi nous
    étions battus dans des piles de victuailles.
    Un jour, il y a eu du remue-ménage, en bas. Nous avons
    regardé par la fenêtre. Un Bottes Noires et sa bonne amie se
    tenaient dans la cour. L’homme portait un sac. Il en sortait des
    morceaux de pain qu’il jetait dans la neige. Chaque fois, dix
    personnes se ruaient dessus. Le soldat et sa bonne amie
    rigolaient. Ils ont appelé d’autres couples à les rejoindre pour
    s’amuser avec eux. Seule une des bonnes amies n’a pas ri.
    Si au moins les poux avaient été comestibles ! Tous les matins,
    nous nous réveillions les cils collés de poux. Ils explosaient –
    plop ! – en une bouillie rouge quand on les écrasait d’un ongle
    sur le pouce.
    Chaque jour, l’homme au pipeau d’argent défilait dans les
    rues. « Venez à la montagne sucrée ! » Une fois, j’ai vu un petit
    garçon tituber derrière lui, mais le joueur de flûte marchait trop
    vite pour lui.

    Avec les nouveaux locataires, Janina et moi ne pouvions
    laisser notre nourriture volée sur la table. Lorsque nous
    revenions, à l’aube, nous la glissions dans les poches des
    manteaux de M. Milgrom et d’oncle Shepsel qui dormaient.
    Il y avait sept nouveaux locataires. Cinq adultes et de jeunes
    jumeaux. Si les adultes n’adressaient jamais la parole à oncle
    Shepsel ou à M. Milgrom, les garçonnets s’approchaient de
    Janina et moi lorsque nous jouions au mikado. Ils voulaient
    s’amuser avec nous, mais étaient trop petits. Ils faisaient rire
    147

    Janina. Elle a commencé à laisser un morceau de pomme de
    terre ou d’oignon sous leur nez, la nuit.
    Il y avait encore moins à manger depuis les bombardements
    russes. Ils avaient duré longtemps. La plupart des bombes
    étaient tombées sur le Paradis. Le claquement des tramways
    s’était éteint. Les couleurs s’étaient fanées, mis à part le
    scintillant contour bleu du chameau.
    Nous volions de la nourriture chaque nuit. À l’aller, Janina
    restait en retrait. Parfois, je me retournais brusquement pour la
    surprendre, mais ne distinguais que des ombres. C’était un jeu
    qu’elle avait inventé.
    Un jour, nous avons eu droit à des vacances inattendues.
    Alors que j’approchais du trou dans le mur, j’ai entendu un
    bruit. J’ai regardé. Quelque chose traînait sur le sol. Je l’ai
    ramassé. Un chou. Un beau chou bien ferme. Tout à coup,
    d’autres produits sont tombés à mes pieds. Des saucisses et des
    patates. Janina m’a rejoint et aidé à les ramasser.
    — Quelqu’un nous lance de la nourriture, ai-je murmuré,
    incrédule.
    Nous sommes restés un moment à attendre, mais rien de
    plus n’est apparu. Nous sommes rentrés en courant à la maison,
    ravis.
    Le lendemain, nous étions prêts lorsque les provisions ont
    recommencé à voler. Cela s’est produit nuit après nuit. Sardines
    et harengs en conserve. Fruits et gâteaux en tout genre. Par-
    dessus tout, nous adorions les visages ahuris d’oncle Shepsel et
    de M. Milgrom quand nous leur apportions notre festin
    nocturne.
    Puis, tout aussi soudainement, les cascades de nourriture se
    sont interrompues. De nouveau, il a fallu se débrouiller seul.

    Janina et moi nous retrouvions

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