Même pas juif
plafond avant
de me regarder de nouveau.
— As-tu déjà goûté une orange ? m’a-t-il demandé.
— Non, mais j’en ai entendu parler. Elles existent pour de
vrai ?
— T’occupe.
Il m’a longuement contemplé. A réessayé :
— As-tu déjà…
Il s’est interrompu. A secoué la tête. Après m’avoir encore
dévisagé, il a dit :
— As-tu déjà eu chaud après avoir eu très froid ?
Je me suis souvenu des nuits avec les garçons sous le tapis
natté, le froid puis la chaleur.
— Oui ! me suis-je exclamé. C’était ça, joyeux ?
— C’était ça, joyeux, a-t-il confirmé avec un sourire.
M’est revenue la sensation de la tente douillette et
chaleureuse. Parfois, je pointais le bout du nez dehors pour
mieux éprouver la chaleur du reste de mon corps.
— C’est sous le tapis !
— Non, ça se trouve là, a-t-il précisé en tapotant ma
poitrine. Là, a-t-il insisté en se martelant le torse.
J’ai louché vers le bas, au-delà de mon menton.
— À l’intérieur ?
— Exactement.
Ça commençait à être drôlement encombré, là-dedans.
D’abord l’ange, maintenant joyeux. Il semblait bien que j’étais
constitué d’autre chose que de choux et de navets.
Je me suis tourné vers Janina qui, assise par terre, faisait
grise mine. Elle n’avait pas ri depuis l’incident de la vache
carbonisée.
— Janina n’a pas de joyeux.
— Non, a confirmé M. Milgrom avec un sourire triste en me
serrant l’épaule.
Il a sorti le chandelier d’argent de son coffre à médicaments.
A allumé la première des huit bougies. Les jumeaux se sont
rapprochés pour admirer la flamme. Les autres locataires sont
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restés dans leur coin.
Dehors, des tirs ont résonné tandis que M. Milgrom
prononçait quelques mots au-dessus de la chandelle. La flamme
teintait l’air glacé de son haleine jaune pâle. Puis il a entonné
une chanson.
— Chante, Janina, a-t-il ordonné.
Elle s’est contentée de grogner. Ensuite, il nous a invités à
nous lever, Janina, moi et les jumeaux, nous a demandé de nous
donner la main, et nous avons dansé en rond pendant qu’il
chantait, que la flamme vacillait, et que quelqu’un, dehors,
hurlait.
M. Milgrom a souri tout le temps. Je l’ai imité du mieux
possible. Les épaules de Janina étaient affaissées, et elle traînait
des pieds.
Je me suis demandé si les orphelins dansaient la ronde.
M. Milgrom a tiré un objet de sa poche, puis un deuxième.
Enveloppés dans du papier journal. Il en a offert un à Janina,
l’autre à moi. J’ai déchiré mon cadeau. C’était un peigne. J’étais
épaté. Je me suis rappelé les brosses dans la boutique du
barbier. Je me suis souvenu de Youri me coiffant. Et voilà que je
possédais mon propre peigne !
Envoyant valser ma casquette, j’ai enfoncé le peigne comme
une bêche dans ma tignasse. Ai tiré. Il est resté coincé.
Renonçant, j’ai entrepris de séparer les mèches collées
ensemble avec mes doigts. J’ai repris le peigne. En y mettant
toutes mes forces, j’ai fini par réussir à le glisser dans mes
cheveux. Je sentais les poux et les lentes saupoudrer ma nuque.
Je les entendais rebondir sur le plancher.
À la lueur de la bougie, je me suis coiffé, encore et encore.
Ce n’est que le lendemain que j’ai remarqué que Janina n’avait
pas déballé son cadeau.
— Tu l’ouvres pas ? ai-je demandé.
— Non, a-t-elle répondu, boudeuse.
Du coup, je l’ai fait à sa place. C’était un peigne. Exactement
comme le mien. Je le lui ai tendu. Elle l’a jeté par terre. Je l’ai
ramassé et me suis mis à le passer dans ses boucles.
— Alors, ai-je dit, ça fait pas du bien ? C’est-il pas mieux que
de s’épouiller avec les doigts ?
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Elle n’a pas répondu. N’a pas souri. Ne m’a pas interdit de
continuer à la coiffer.
Le deuxième jour de Hanoukka, lorsque M. Milgrom a
voulu prendre le chandelier d’argent, il avait disparu. M.
Milgrom a paru étonné. Pas moi. Dans mon univers, les choses
n’existaient que pour être volées. Avec une autre famille dans la
chambre, nous savions qui était responsable. Et pourquoi.
Quand on connaissait la bonne personne, il était aisé d’échanger
les objets contre de l’argent, et l’argent contre de la nourriture.
M. Milgrom n’a accusé personne. Se contentant de regarder
par la fenêtre, il a dit, assez fort pour que tout le monde dans la
pièce l’entende :
— Quelle
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