Mémoires de 7 générations d'exécuteurs
clubs, continuaient à entretenir cette exaltation des masses qui s’était traduite par l’envahissement des Tuileries, par celui des prisons et par les massacres sans nom qui ensanglantèrent les journées du 2 et du 3 septembre 1792.
Dans de telles circonstances, la Convention, elle-même, n’était qu’un fantôme de pouvoir ; obligée de plier le plus souvent sous les injonctions redoutables de cette autorité naissante qu’on appelait la Commune, et qui n’était autre que l’insurrection organisée, la plupart de ses votes étaient arrachés à la crainte de donner, par une résistance prématurée, le signal d’une anarchie pire encore que celle qui dévorait notre malheureux pays.
Qu’était-ce en effet que cette Commune qui, sous une modeste dénomination municipale, jouait un rôle politique si important et exerçait un pouvoir si absolu ? Comment pouvait-elle imposer à ce point à une Assemblée en qui résidait après tout la souveraineté nationale ? C’est que cette Commune avait elle-même ses points d’appui dans les clubs qui agitaient l’opinion et organisaient les manifestations armées, dont le résultat, toujours sanglant, consternait tous les amis de l’ordre et du véritable progrès.
La majorité de l’Assemblée était encore acquise aux idées sagement libérales, aux principes régulateurs des sociétés ; mais que pouvait cette majorité flottante, indécise entre les deux partis qui avaient seuls le courage d’affronter les périls de la situation, et, opposés de vues comme de système, entamaient déjà, pour saisir le pouvoir, la lutte dans laquelle le plus faible, le plus modéré allait succomber ? Tous les vieux liens sociaux étaient brisés : Dieu chassé de ses temples et effacé des lois humaines ; la monarchie traînée d’insultes en insultes jusqu’à la captivité ; à ces temps nouveaux il fallait des hommes nouveaux, et, malgré l’énergique résistance des Girondins, malgré le poids de l’individualité puissante de Danton, l’homme de septembre, on sentait poindre la sanglante dictature de Robespierre.
La vie du roi fut le premier enjeu de la lutte des deux factions qui aspiraient à dominer la Convention. La Gironde ne voulait pas dans le principe la mort de Louis XVI ; elle avait le triste pressentiment que ce meurtre politique ne serait pas le dernier et inaugurerait mal le règne dé la Révolution ; mais intimidée par les clameurs frénétiques du dehors, par les audacieux défis de la Montagne, elle se laissa arracher cette concession à une soif de popularité bien décevante, car quelques mois après avoir livré ce sanglant otage à la population qu’elle avait cru flatter, elle était à son tour abandonnée par cette populace, et expiait sur le même échafaud que l’infortuné monarque, son aveuglement et sa pusillanimité.
Etait-ce donc bien le peuple que cette multitude qui assiégeait les tribunes de la Convention pour applaudir ou huer les orateurs selon qu’ils parlaient ou non dans le sens de ses passions sauvages ; qui, tout le jour, battait le pavé au son du tambour et au bruit des armes pour porter partout ses appels incessants à la révolte ; qui, le soir, faisait entendre dans les clubs des déclamations furibondes. entremêlées de motions incendiaires ; et qui enfin, de temps à autre, retroussait ses manches pour se mettre les bras dans le sang jusqu’au coude ? J’avoue que je n’en ai jamais été très persuadé, ou bien alors il faudrait en conclure que le peuple est une collection de bourreaux !
On vit très certainement à cette malheureuse époque porter au bout des piques, comme de glorieux trophées, plus de têtes humaines que mon aïeul et ses ancêtres n’en avaient fait tomber, traîner par les rues plus de cadavres mutilés qu’ils n’avaient infligé de supplices pendant plus d’un siècle.
Est-ce donc le peuple qu’il faut accuser de toutes ces cruautés ? Non ; ce sont les meneurs audacieux qui ne savent que soulever et exploiter les mauvaises passions ; c’est la lie de la population qui, en ces temps d’orage, remonte à la surface et couvre le reste de sa hideuse écume.
Que de fois, dans ces groupes armés qui parcouraient la capitale, mon grand-père reconnaissait d’anciens clients du fouet et de la marque, ou tout au moins les spectateurs habituels des exécutions, qui étaient loin de former, comme on sait, un public d’élite. Tout cela, ainsi que
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