Métronome
boulevard, cet espace de charme qui part de la Madeleine et serpente si loin qu’on peut le prolonger jusqu’au Château-d’Eau, en passant par le magnifique quartier de l’Opéra, ultime symbole des ambitions haussmanniennes pour Paris. Une promenade parsemée de cafés aux salles confortables et feutrées où se retrouvent toutes les célébrités et les élégances.
Dans un débordement de gaieté, la ville se constelle de bals et de dîners rivalisant dans le grandiose. On n’a plus le temps de dormir, le second Empire s’enivre avec ponctualité, sous l’œil amusé du chroniqueur mondain Henri de Pêne : « On a institué le dîner à 7 h 30, le spectacle à 9 heures, le commencement des bals à minuit, le souper à 3 ou 4 heures du matin, et le sommeil après, si l’on peut et s’il y a du temps pour lui. »
Empereurs, rois, princes, industriels affluent dans ce Paris endiablé. On ne sait plus où donner de l’altesse, le tsar de Russie croise le sultan des Turcs, la reine de Hollande rencontre le roi d’Italie, le roi de Prusse côtoie le khédive d’Égypte, et l’on feint de croire que l’univers réconcilié dans l’euphorie marche vers la paix universelle.
Trois ans plus tard, en 1870, l’insouciant second Empire s’effondre dans la guerre franco-prussienne engendrée par les rêves d’une grande Allemagne souhaitée par Bismarck. Au mois de juillet, dans la capitale, cette guerre se prépare pourtant dans l’enthousiasme. Sur les grands boulevards, on acclame follement les soldats mobilisés, les femmes font un triomphe aux héros de demain et les gargotiers patriotes abreuvent gratuitement de petit vin les hommes en uniforme…
Hélas, la débâcle est programmée. Les armées françaises sont enfoncées, l’empereur est fait prisonnier à Sedan. Dimanche 4 septembre au matin, le chaud soleil d’un été finissant confère à Paris cet éclat radieux qui fait vibrer la ville sous un ciel infiniment bleu. À la nouvelle du désastre, une foule en colère s’amasse place de la Concorde, la population s’en prend aux symboles du régime.
L’impératrice doit s’enfuir, avec pour derniers fidèles les ambassadeurs d’Autriche et d’Italie. Le petit groupe traverse la galerie de Diane jusqu’au pavillon de Flore, pénètre dans le Louvre et s’engouffre dans la grande galerie du musée. Bientôt l’impératrice se trouve face aux corps tordus du Radeau de la Méduse , le tableau de Géricault…
— Comme c’est étrange, dit-elle, et des larmes coulent sur son visage.
Elle sort par la petite porte qui donne sur la place Saint-Germain-l’Auxerrois. On avise un fiacre, l’impératrice déchue monte à l’intérieur et la voiture s’éloigne au petit trot… Dans un premier temps, Eugénie se réfugie chez son dentiste américain, qui demeure près du bois de Boulogne, puis elle s’exilera en Angleterre.
La République est proclamée, mais ne parvient pas à stopper la guerre. La capitale est bombardée. La mort frappe au hasard, ensevelissant des familles entières sous les décombres de leur immeuble. Les toitures des Invalides, du Panthéon et de la Sorbonne volent en éclats. La confusion règne partout et les Prussiens resserrent leur étau. Bientôt, la ville est isolée, le siège commence. On sort encore, car Paris reste Paris, on s’invite à des simulacres de dîners où l’on sert un beau rat, cuit à l’étouffée, tout rouge dans son ravier, la queue dressée en trompette avec, touche délicate, un peu de persil autour du museau.
Au mois de février, les Prussiens descendent des Champs-Élysées déserts. Paris a pris son manteau de deuil et le crêpe noir flotte aux balcons des mairies d’arrondissement. Les troupes victorieuses font un petit tour et puis bien vite s’en vont, laissant la place à la fureur populaire.
Dès le mois de mars, l’insurrection de la Commune gagne tous les quartiers. Les drapeaux rouges sont hissés dans un ciel gris. Des soldats, fatigués, démoralisés, déboussolés, mettent crosses en l’air et rompent les rangs. Militaires et civils fraternisent dans une joyeuse kermesse.
Mais les troupes restées fidèles à l’autorité réinvestissent la capitale dans une débauche de tueries. À Montmartre, au jardin du Luxembourg, ailleurs encore, on rafle, on fusille, à la mitrailleuse parfois pour faucher plus vite une file de prisonniers. Devant le Panthéon, les corps s’entassent par couches successives. Le
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