Métronome
tête, le cœur et la moelle de Paris », écrivait Gui de Bazoches au XII e siècle.
La station est construite comme un puits dans les entrailles de la ville : nous sommes à plus de vingt mètres de profondeur sous le niveau de la Seine. Tel Jules Verne dans son Voyage au centre de la Terre , j’ai la sensation de remonter le temps jusqu’aux origines. Et pas besoin de la cheminée d’un volcan pour pénétrer ces entrailles souterraines, pas besoin du Nautilus pour passer sous les eaux… Moi, j’ai le métro !
Toujours suivi par la petite dame, je gravis quatre à quatre l’interminable escalier qui me mène vers la lumière. La petite dame est distancée. À l’extérieur, je me heurte à un cyprès rachitique. Je tente de m’en dégager pour tomber nez à nez avec un olivier sans olives… Tiens ! une trace du sud, écho fragile d’un paysage italien, je touche au but.
Le marché aux Fleurs grignote les abords de la bouche de métro, comme si la nature et le passé cherchaient désespérément à reprendre leurs droits. Illusoire conquête, en vérité : à gauche, les voitures bourdonnent dans une descente sans fin du boulevard Saint-Michel ; à droite, même flot continu, mais dans l’autre sens, pour remonter la rue Saint-Jacques.
J’ai la sensation d’être au milieu d’un carrefour. L’artificielle rue de Lutèce agonise, coincée entre ces deux artères vitales, cernée par les austères façades XIX e siècle des bâtiments administratifs chers au baron Haussmann. Je laisse au plus vite cette rue de Lutèce pour rejoindre, au-delà du marché aux Fleurs, la Seine qui charrie lentement ses eaux brunâtres…
En quelques pas, je suis sur les quais. Un peu plus loin s’alignent les boîtes vertes des bouquinistes… J’y plonge ma gourmandise et en ressors de vieux ouvrages sur l’histoire de ma ville aimée. Paris, c’est un peu ma femme ; en tout cas, c’est une femme ! André Breton l’exprime dans Nadja : le triangle de la place Dauphine serait le pubis de cette forme rêvée, la matrice originelle d’où tout serait né… J’aimerais revivre cet accouchement.
Et si le ronronnement des automobiles s’éteignait ? Et si les bâtiments aux façades grises s’évaporaient ? Et si les rives de la Seine redevenaient sauvages pour laisser place aux pentes verdoyantes, aux marécages boueux, aux arbrisseaux qui couvraient l’îlot ?
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En cette année 701 de la fondation de Rome, l’an 52 avant Jésus-Christ, il n’y a rien encore sur l’île de la Cité… Aucune trace de la Lutèce dont Jules César nous parle brièvement dans La Guerre des Gaules ! « Lutèce, oppidum des Parisii, situé sur une île de la Seine », écrit-il. C’est un peu flou, évidemment. En fait, le proconsul n’a passé en ces lieux qu’une journée, plus préoccupé d’assister à l’assemblée des chefs gaulois que de visiter les alentours de cet oppidum. Et quand vient pour César l’heure d’écrire, il fait allusion à la cité des Parisii par ouï-dire, s’appuyant sur des rumeurs et des rapports militaires mal ficelés. Il répète ce qu’il a entendu cafouiller par ses légionnaires, qui eux-mêmes restent assez imprécis dans leurs descriptions.
C’est vrai, là où l’on s’attend à trouver la grande ville des Parisii, il n’y a rien ! D’ailleurs, la future île de la Cité est encore divisée en six ou sept îlots sur lesquels on aperçoit à peine un petit temple, quelques cahutes rondes au toit de roseaux et une poignée de pêcheurs jetant nonchalamment leurs filets dans les eaux… Au-delà du fleuve, sur la rive droite, s’étendent des marais et une forêt très dense à l’ouest. Sur la rive gauche, encore des marais et, plus loin, un éperon rocheux. Un jour on l’appellera la montagne Sainte-Geneviève.
Pour trouver la vaste agglomération gauloise, on doit suivre le fleuve… À cette époque, la route c’est le fleuve, il faudra attendre les Romains pour voir s’établir de grandes voies terrestres. Pour l’heure, montons à bord d’une de ces embarcations qu’affectionnent tant les Gaulois : l’esquif allongé et frêle fait de branches tressées file sur les flots.
La barque, c’est le moyen de transport ancestral pour ceux qui se sont installés ici. Tout naturellement, les premières traces d’occupation sédentaire au néolithique (cinq mille ans avant J-C) ont été des pirogues découvertes sur le site de Bercy
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