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Métronome

Métronome

Titel: Métronome Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Lorànt Deutsch
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dans l’un des clubs les plus importants, les plus extrémistes aussi – celui tenu dans la grande salle du Conservatoire, rue Bergère, par le terrible Auguste Blanqui, conspirateur professionnel –, les conférenciers exposent longuement comment la bourgeoisie se nourrit exclusivement de la sueur du peuple. Nous sommes dans une forme de théâtre et c’est Eugène Labiche, le jeune auteur de vaudevilles, qui monte à la tribune. Devant la table au tapis vert où se tiennent, sévères, les membres du bureau, sous le drapeau tricolore et l’éternelle devise « Liberté, Égalité, Fraternité », il adresse cette harangue à un parterre d’ouvriers :

— Citoyens, j’appartiens par le hasard de ma naissance, dont je suis innocent, à cette caste honnie que l’on ne saurait trop maudire. Je pense cependant qu’il y a une certaine exagération à croire qu’elle boit par prédilection et avec plaisir la sueur de nos frères du prolétariat. Permettez-moi de vous citer un exemple personnel qui rectifiera, j’espère, votre opinion. Car si vous aimez la justice, ô citoyens, vous ne chérissez pas moins la vérité. J’habite un appartement situé au quatrième étage, et dernièrement je fis venir du bois. Le vertueux citoyen qui, moyennant salaire débattu, daigna gravir mon escalier pour apporter les bûches jusque chez moi avait très chaud et la sueur inondait ses traits animés d’une résolution virile ; tranchons le mot, il était en nage. Eh bien, j’en ai goûté et je dois avouer que c’est d’un goût détestable !
    Un murmure réprobateur accompagne les derniers mots de cette burlesque déclaration. Alors que Labiche, digne et fier, descend lentement les marches de l’estrade, les plus enragés se précipitent sur ce réactionnaire narquois, des coups partent, on va lui faire entendre que l’humour n’est pas de saison. Par chance, l’écrivain Maxime du Camp est dans la salle. Il intervient et parvient à grand-peine à faire sortir son collègue à peu près sain et sauf.
    Quelques mois plus tard, en décembre 1848, l’élection à la présidence de la République du prince Louis-Napoléon apaise les esprits. Installé au palais de l’Élysée, le nouveau chef de l’exécutif ne déçoit pas ceux qui souhaitent le retour à la paix civile : il supprime les clubs et s’appuie sur l’armée pour prévenir tout mouvement insurrectionnel.
    Le mandat donné au prince est de quatre ans non renouvelables. Par un coup d’État, il se maintient au pouvoir. Au matin du 2 décembre 1851, une affiche collée au cours de la nuit dans les rues de Paris lance un appel au peuple, signé Louis-Napoléon : « Si vous avez confiance en moi, donnez-moi les moyens d’accomplir la grande mission que je tiens, de vous…»
    Les moyens, le prince s’en est déjà saisi : l’armée occupe la capitale, l’Assemblée a été dissoute et une partie des députés arrêtée. La rapidité des opérations prévient toute réaction immédiate.
    Le lendemain seulement, la ville secoue sa torpeur, plus de soixante-dix barricades sont dressées. L’armée réplique en répandant la terreur… Sur les boulevards, des soldats ivres, paniqués par une foule menaçante, ouvrent le feu. Dix minutes d’un tir nourri qui abat au hasard insoumis et passants, enfants et vieillards. Les corps jonchent le sol, des blessés rampent, la foule hurle… Deux cent quinze tués sont dénombrés. Quelques instants ont suffi, l’horreur s’est imposée dans ce quartier de Paris et, de vague en vague, elle musellera la France entière.
    Un an passe. Devenu l’empereur Napoléon III, l’ancien président de la République se met en tête de remodeler Paris. Il veut faire de la capitale une ville moderne, aérée, hygiénique, éradiquer les zones de pauvreté et supprimer des coupe-gorge qui pourraient se convertir en foyers révolutionnaires. Le baron Eugène Haussmann, préfet de la Seine, l’y aidera. En créant de larges boulevards, il rend les barricades plus difficiles à dresser et permet un passage plus aisé aux troupes impériales en cas d’insurrection.
    Dans cet esprit d’ordre et de discipline, le boulevard du Crime inquiète l’empereur. Il veut casser l’animation et l’agitation permanentes qui le secouent. Le boulevard sera rasé. En 1854, Napoléon III fait construire la caserne militaire du Prince-Eugène. C’est actuellement la caserne Vérines des Gardes républicains, hommage à un

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