Meurtres dans le sanctuaire
clerc. Luberon le fit de mauvaise grâce tandis que le père Raoul au contraire se montrait très coopératif, et Kathryn put ainsi feuilleter les vieux registres poussiéreux, ainsi que des rouleaux de parchemin jaunis et salis par les ans. Pendant une heure elle en vérifia toutes les entrées, cherchant le nom de Christina Oldstrom. Au bout de ce temps, Luberon ne put contenir davantage son irritation, et prétextant que d’autres besognes l’attendaient, il quitta le logis du prêtre. Le père Raoul retourna désherber son jardin, revenant de temps en temps auprès de Kathryn pour lui proposer de l’eau ou un peu plus de bière.
Plongée dans ses recherches, déchiffrant avec difficulté les différentes écritures qui avaient appartenu aux prêtres successifs de la paroisse, Kathryn ne levait même pas les yeux, se contentant de secouer la tête. Enfin, elle découvrit le nom de Christina Oldstrom porté dans la colonne des baptêmes, à la date de 1410, sous le règne d’Henri IV. Elle allait passer à la page suivante quand de nouveau le nom attira son regard. Il était écrit : « Filius natus Christina Oldstrom », un fils est né à Christina Oldstrom.
Kathryn lut et relut la mention, en mémorisa la date, puis elle passa rapidement aux pages suivantes. Mais le registre ne contenait plus rien qui l’intéressât. Elle le referma donc, se leva et sortit dans le jardin.
Le père Raoul l’appela.
— Vous avez terminé, Maîtresse
Swinbrooke ?
— Oui, oui, lança Kathryn, la tête ailleurs.
— Quelque chose ne va pas, Maîtresse ?
— Non. Je dois acheter des friandises.
Et, sous le regard intrigué du prêtre, Kathryn gagna le porche donnant sur la rue.
Thomasina aussi avait eu une matinée fort occupée. Quelques patients s’étaient présentés : un petit garçon qui s’était ébouillanté la main ; Beeton, le brasseur que sa goutte faisait souffrir ; un jeune homme qui voulait de l’huile de clou de girofle parce qu’il avait mal aux dents. Thomasina s’occupa d’eux, puis rangea la table de la cuisine et donna ses ordres à Agnes. Après quoi, prenant sa cape, elle sortit, et d’un pas décidé remonta Ottemelle Lane pour prendre Hethenman Lane et gagner l’église Sainte-Mildred. Elle pénétra sous la voûte sombre et fraîche, et s’immobilisa près des fonts baptismaux, à côté de la porte. En haut de la nef, des membres du conseil de la paroisse s’activaient pour préparer l’autel en vue de la fête du Précieux Sang. Certains astiquaient le jubé, d’autres nettoyaient les chandeliers, d’autres encore portaient des tentures et des coussins. Thomasina les observa un moment. Elle avait repéré la personne qu’elle cherchait, mais attendit que tous ces gens imbus de leur importance repartent chez eux.
De fait, au bout d’un moment, ils redescendirent la nef, se lançant des adieux sonores. Joscelyn, le parent de Kathryn, avait pris la tête du petit groupe. Il était flanqué de son épouse, maigre et revêche, que Thomasina tenait pour la pire des mégères.
Quand il vit la servante, Joscelyn vint à elle en grattant son crâne chauve comme si cette rencontre l’embarrassait. Ses yeux larmoyants se plissèrent en un sourire hypocrite.
— Thomasina ! Comment se porte Maîtresse
Kathryn ?
— Pour ce que cela vous préoccupe, elle pourrait bien être morte ! rétorqua sèchement Thomasina.
Le sourire hypocrite reparut.
— Va-t-elle ouvrir sa boutique d’herbes et d’épices ?
La cupidité dans le regard de Joscelyn n’échappa pas à Thomasina.
— Bien sûr, mentit-elle, elle compte le faire très bientôt.
Joscelyn prit un air chagrin qui la combla.
— Certes, Maître Joscelyn, ajouta-t-elle malicieusement, le commerce de ma maîtresse risque de nuire au vôtre.
Joscelyn, qui était marchand d’épices, redressa la tête comme un canard en colère.
— Elle n’a pourtant pas obtenu de licence de la guilde, lança-t-il avec défi. Sans licence, elle n’a pas le droit d’ouvrir ce commerce.
Et secouant la tête, il rejoignit sa femme pour sortir dignement de l’église.
Dans son dos, Thomasina lui tira la langue, puis remonta la nef pour gagner le choeur. Il n’y restait qu’une personne qui se tenait le dos à la nef, en haut des escaliers de l’autel.
— Sommes-nous seules, veuve Gumple ? murmura Thomasina.
La Gumple pivota, sa grosse face blanchâtre assez ridicule sous sa coiffe trop compliquée.
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