Meurtres dans le sanctuaire
singulière. On la disait issue de bonne famille, mais elle avait eu la vie dure, et vivait repliée sur elle-même.
— Avait-elle de la famille ?
— Pas à ma connaissance, et cela aussi était étrange.
Le père Raoul étendit les mains devant lui.
— Oh, elle était pieuse et dévote, aussi une ou deux fois je suis allé lui rendre visite chez elle. Or, si sa maison était délabrée d’apparence, à l’intérieur, Christina y avait toutes ses aises. Du bois et du charbon pour se chauffer en hiver, un bon lit, une dépense remplie de nourriture, et de quoi boire en abondance. En outre, elle ne manquait jamais de payer sa dîme. Et puis, l’hiver dernier, elle tomba malade, maigrit beaucoup, et je demandai à ces médecins dont vous parliez d’aller la voir. Hélas, en vain. Une tumeur affreuse croissait en elle et dévorait sa chair.
— Qui lui rendait visite, à part les médecins ? demanda vivement Luberon.
— Personne. J’ai toujours pensé que quelqu’un le faisait, mais elle ne parlait jamais de son passé, bien qu’elle vécût dans l’aisance, bien mieux qu’une simple couturière.
Le père Raoul haussa les épaules.
— Après tout, c’était son affaire, et je ne lui ai jamais posé de questions. Quoi qu’il en soit, elle finit par mourir, laissant un testament où il était dit qu’il fallait vendre son logis et tout ce qu’il contenait pour en distribuer le produit aux pauvres.
Le prêtre regarda Luberon.
— Vous devez vous en souvenir, Maître clerc, puisque vous vous êtes occupé de ce don. Il n’est pas rare que les veuves et les femmes non mariées fassent de semblables legs.
Le père Raoul pianota sur la table.
— Mais ce qui m’a surpris, c’est que, quand on a amené son cadavre dans l’église, j’ai reçu des pièces d’argent ainsi qu’une lettre me demandant d’enterrer Christina dans un cercueil en bois de pin, de faire chanter trois messes pour le repos de son âme, et de commander une belle croix pour mettre sur sa tombe, au cimetière.
— Avez-vous toujours cette lettre, mon père ? demanda Kathryn.
— Bien sûr que non ! interrompit sèchement Luberon. Les pièces d’argent ont servi à payer les messes chantées, à acheter le cercueil, et à demander au charpentier de confectionner une croix.
Évitant le regard de Kathryn, le clerc toussota pour s’éclaircir la voix.
— Il y a tant de femmes comme Christina : seules au monde, pauvres, abandonnées et malades.
— Vous la connaissiez ?
— Non, évidemment.
— Si vous voulez me suivre, proposa le père
Raoul, je vais vous montrer sa tombe.
Ils sortirent dans le soleil et le prêtre les conduisit derrière l’église, dans le grand cimetière fort bien entretenu. Ils suivirent les sentiers qui serpentaient entre les tombes jusqu’à ce que le prêtre s’immobilise devant l’une d’elles. La terre était maintenant damée, et les fleurs dont on avait orné la tombe pourrissaient. Mais la croix, bien qu’un peu détériorée par les intempéries, tenait bien en place. Se penchant, Kathryn déchiffra l’inscription : « Christina Oldstrom. Requiescat in Pace. »
Kathryn porta son regard sur le prêtre.
— Personne n’est venu réclamer le corps de cette femme ? Ou se présenter comme parent ?
Le père Raoul secoua la tête.
— Et ce mystérieux donateur ?
— Allons, Maîtresse Swinbrooke, ces dons anonymes sont très fréquents. Je me souviens seulement de la bourse qui contenait les pièces d’argent. J’ai rempli mon devoir et j’ai rapporté ce qui s’était passé au conseil de la paroisse.
— Savez-vous autre chose sur Christina
Oldstrom, mon père ?
— Non, je vous ai tout dit. Elle était couturière et devait avoir une soixantaine d’années.
— Elle avait certainement eu une autre vie, insista Kathryn. Avait-elle été mariée ? Avait-elle eu des enfants ?
Le père Raoul prit une profonde inspiration, leva les yeux pour observer un instant les hirondelles qui tournoyaient dans le ciel bleu.
— Je ne devrais pas le faire, murmura-t-il enfin, mais si vous le voulez, vous pouvez consulter les registres de la paroisse. Y sont consignés les naissances, les décès et les mariages.
Luberon s’agitait, clairement mal à l’aise.
— Est-ce bien nécessaire, Maîtresse ? demanda-t-il. En vérité, que cherchez-vous exactement ?
— Je ne le sais pas, répondit Kathryn, mais vous pouvez m’aider, Maître
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