Milena
– et cela
dépend de vous – je puis vous rendre un grand service. » Ramdor murmura
quelque chose comme : « Quoi, qu’est-ce que cela veut dire ? »
et Milena poursuivit : « Il se passe au camp des choses révoltantes. Si
bon ordre n’y est pas mis rapidement, c’en est fini de votre carrière. »
Cette fois, c’en était trop. Ramdor repoussa en arrière sa chaise et son visage
s’empourpra : « Vous en prenez tout à fait à votre aise, vous ! Et
pour qui vous prenez-vous donc ? » « Pardonnez-moi, monsieur
Ramdor, vous m’avez mal comprise. Je suis simplement venue pour vous rendre un
service. Que je vous demande par ailleurs une faveur, c’est une autre question.
Si ce que j’ai à vous dire ne vous intéresse pas, je vous prie de m’excuser. Faites-moi
reconduire au camp. »
C’est pratiquement un miracle que Milena n’ait pas été jetée
aussitôt dans un cachot du bunker. Elle finit par parvenir à ses fins et par
contraindre Ramdor à entrer dans son jeu. Et en effet, il lui posa la première
question montrant qu’il avait mordu à l’appât : « Et quel genre de
cochonneries se sont donc passées ici ? » Milena le fit mariner :
« Il s’agit de très graves délits criminels dans lesquels sont impliqués
tout à la fois des détenues et des SS – mais avant que je ne vous raconte tous
les détails, il faut que je sache si vous êtes prêt à accéder à ma demande ? »
« Demande ? Vous vous en permettez, des impertinences ! Croyez-vous
pouvoir me faire chanter ? » « Mais non, Herr Kriminalassistent,
comment donc une détenue pourrait-elle avoir des idées pareilles ? Je
pensais simplement que, vous qui êtes allemand, vous étiez mieux placé que
quiconque pour savoir à quels devoirs astreignent la véritable amitié et la
véritable camaraderie. Laisseriez-vous tomber votre ami dans une pareille situation ? »
Ramdor se tortillait sur son siège. Elle avait réussi à toucher une fibre sensible
chez cette canaille et elle saisit l’occasion aux cheveux : « Je vous
en prie, dites-moi, Grete Buber vit-elle encore ? » « Mais bien
sûr ! » « Est-ce que je peux la voir, aujourd’hui même ? »
« Eh, doucement, n’allez pas trop loin ! »
Et Milena se mit à raconter à Ramdor quel être
extraordinaire j’étais. Il commit sa seconde erreur en écoutant. Elle couronna
son entreprise de séduction en arrachant à l’homme de la Gestapo la promesse
sur l’honneur qu’il tiendrait parole. Ensuite seulement, elle lui raconta quels
crimes étaient commis jour et nuit à l’infirmerie. Il n’y avait là, bien
entendu, rien de nouveau pour lui et surtout absolument rien d’abominable. Il
était lui-même un assassin. Mais là, il y allait de sa carrière. Il aurait dû
démasquer le D r Rosenthal qui se rendait coupable de vol ; c’était
en effet pour la Gestapo un crime de vouloir s’enrichir, pour son propre compte,
en s’emparant des dents en or des morts. Ramdor intervint donc. Peu après, il
fit arrêter le médecin et sa maîtresse.
Mais que serait-il arrivé à Milena si Ramdor avait couvert
le D r Rosenthal ? On l’aurait liquidée sans différer d’un jour.
Elle le savait, et pourtant, elle osa tenter cette démarche. Tant qu’elle fut
ainsi à l’offensive, elle oublia le fardeau de son corps malade. Puis elle fut
reprise par la conscience paralysante de sa faiblesse. Revenue au camp, elle
fut saisie d’une peur panique, redoutant la vengeance de la Quernheim, craignant
qu’on ne lui administre une injection mortelle.
Quelques mois après, Ramdor s’efforça de faire chanter
Milena. Il vint à l’infirmerie, la fit sortir de son bureau et lui demanda d’espionner
pour son compte une détenue. « Monsieur Ramdor, vous vous êtes sans doute
trompé d’adresse. S’il vous faut des mouchards, il vous faudra chercher
ailleurs ! » – telle fut la réplique de Milena. Ramdor encaissa et
fit alors cette réponse étonnante : « Tout de même, vous êtes quelqu’un
de bien, vous ! » Ce à quoi Milena répondit : « Sans doute,
et je n’ai pas besoin que vous m’en donniez confirmation ! »
*
J’appris les détails concernant le sort de la
surveillante-chef Langefeld après ma sortie du bâtiment cellulaire. Le
lendemain de mon arrestation, on lui permit encore d’aller une fois à son
bureau. En s’y rendant, elle eut sa dernière conversation avec une détenue de
Ravensbrück, avec
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