Moi, Claude
s’embarqua pour les îles où étaient enterrés sa mère et son frère Néron : il recueillit leurs restes à demi brûlés, les fit incinérer convenablement et les déposa dans le tombeau d’Auguste. Il institua une nouvelle fête annuelle, avec combats de gladiateurs et courses de chevaux, à la mémoire de sa mère, ainsi que des sacrifices annuels à ses mânes et à ceux de ses frères. Il donna au mois de septembre le nom de Germanicus, comme on avait donné au mois précédent celui d’Auguste.
Ensuite il proclama l’amnistie générale, rappela tous les bannis et mit en liberté les prisonniers politiques. Il réunit même toute une fournée de documents criminels relatifs à sa mère et à ses frères et les brûla publiquement sur la place du Marché en jurant qu’il ne les avait pas lus : ainsi ceux qui avaient contribué en quelque manière à la perte de ses bien-aimés n’avaient plus rien à craindre : tout ce qui restait de ces mauvais jours avait disparu. En fait, ce qu’il brûla n’était qu’une copie : il gardait les originaux. Comme Auguste, il passa au crible les deux ordres et en rejeta tous les membres indignes ; comme Tibère, il refusa tous les titres honorifiques sauf ceux d’Empereur et de Protecteur du Peuple et défendit qu’on lui élevât des statues.
Au bout de six mois, en septembre, le mandat des consuls arriva à expiration et Caligula, pendant quelque temps, se chargea lui-même d’un consulat. Qui suppose-t-on qu’il choisit comme collègue ? Moi, tout simplement ! Et moi qui vingt-trois ans auparavant avais supplié Tibère de m’accorder de vraies fonctions, non des honneurs vides, j’aurais maintenant de bon cœur donné ma démission en faveur de n’importe qui. Ce n’était pas que je désirasse retourner à ma littérature, car j’avais achevé mon Histoire des Étrusques et n’avais rien commencé de nouveau. Mais j’avais oublié toutes les règles de la procédure et me sentais affreusement mal à l’aise au Sénat. Presque dès le début, j’eus des difficultés avec Caligula. Il m’avait chargé de faire exécuter deux statues de Néron et de Drusus qu’on devait élever sur la place du Marché, et la firme à laquelle je m’étais adressé avait pris l’engagement de les livrer à la date fixée pour l’inauguration, au début de décembre. Trois jours auparavant je voulus aller jeter un coup d’œil sur mes statues. Les coquins ne les avaient pas commencées. Ils inventèrent je ne sais quelle histoire au sujet du marbre de la couleur voulue, qui, disaient-ils, venait seulement d’arriver.
Je me mis en colère (cela m’arrive souvent, mais mon irritation n’est jamais de longue durée) et leur déclarai que si mes statues n’étaient pas prêtes au jour dit je ferais jeter hors de la ville la firme entière – propriétaire, directeur et ouvriers. Peut-être leur fis-je peur, en tout cas Néron était prêt – et fort ressemblant, ma foi – la veille de la cérémonie ; mais un sculpteur maladroit avait brisé la main de Drusus au poignet. On peut réparer des cassures de ce genre, mais le raccord se voit toujours, et je ne pouvais, dans une solennité pareille, présenter à Caligula un travail bâclé. Il ne me restait qu’à le prévenir immédiatement que Drusus ne serait pas prêt. Mon Dieu ! dans quelle rage il se mit ! Il ne voulait rien écouter et me menaçait de m’ôter ignominieusement mon consulat. Par bonheur il avait déjà décidé de donner lui-même le lendemain sa démission de consul et m’avait prié de donner aussi la mienne en faveur des premiers candidats choisis – de sorte que sa menace n’eut aucun résultat : on me désigna même de nouveau avec lui pour le prochain mandat, quatre ans à l’avance.
Je devais occuper un appartement au palais, et les sévères discours que Caligula, à l’exemple d’Auguste, prononçait contre la licence des mœurs m’empêchaient, malgré mon divorce, d’y faire venir Calpurnia. À mon grand déplaisir je dus la laisser à Capoue, et ne pouvais m’échapper que de temps à autre pour aller la voir. Quant à Caligula lui-même, ses mœurs ne semblaient guère en rapport avec la rigueur de ses censures. Il avait demandé à Macro de répudier sa femme, Ennia, et s’était engagé à l’épouser ; puis il s’était lassé d’elle et maintenant il courait chaque nuit les aventures galantes en compagnie d’une bande de joyeux drilles
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