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Moi, Claude

Moi, Claude

Titel: Moi, Claude Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Graves
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bannir le vieux drôle.
    Croyant qu’il continuait à divaguer, je demandai d’un air naturel :
    — Pourquoi donc as-tu fait cela ?
    — Il me gênait. Il voulait me punir, moi ! – moi, un jeune dieu ! Mais je l’ai fait mourir de frayeur. J’ai caché des bêtes mortes sous les dalles disjointes de notre maison d’Antioche ; j’ai gribouillé des charmes sur les murs ; enfin j’ai mis un coq dans ma chambre pour l’avertir que son heure était venue. Et je lui ai volé son Hécate. Regarde, la voilà ! Je la garde toujours sous mon oreiller.
    Il me montra la statuette de jaspe vert. Mon cœur se glaça en la reconnaissant :
    — Ainsi c’était toi ? dis-je d’une voix horrifiée. Et c’est toi qui grimpais par cette fenêtre minuscule dans la chambre fermée pour y dessiner tes inventions sur les murs ?
    Il acquiesça fièrement et continua à bavarder.
    — J’ai tué non seulement mon vrai père, mais mon père adoptif – Tibère, tu sais. Et Jupiter, lui, n’a couché qu’avec une seule de ses sœurs, Junon, tandis que moi j’ai couché avec les trois miennes. Martine m’a dit qu’il le fallait si je voulais ressembler à Jupiter.
    — Tu connaissais donc bien Martine ?
    — Bien sûr. Pendant que mes parents étaient en Égypte j’allais la voir tous les soirs. C’était une femme très habile. Je vais encore te dire autre chose. Drusilia est divine aussi. J’annoncerai sa Divinité en même temps que la mienne. Comme j’aime Drusilia ! presque autant qu’elle m’aime…
    — Puis-je t’interroger sur tes intentions sacrées ? Cette métamorphose ne manquera pas d’affecter Rome très profondément.
    — Certainement. D’abord je me ferai craindre et respecter du monde entier. Je ne me laisserai plus gouverner par un tas de vieux tatillons. Je veux montrer… mais tu te rappelles ta vieille grand-mère Livie ? C’était bien drôle. Elle s’était fourré dans la tête que c’était elle ce Dieu éternel dont toutes les prophéties d’Orient parlent depuis mille ans. Je pense que Thrasylle le lui avait fait croire. Thrasylle ne faisait jamais de mensonges, mais il aimait à induire les gens en erreur. Tu comprends, Livie ne connaissait pas les termes exacts de la prophétie. Le Dieu doit être un homme, non pas une femme ; il ne sera pas né à Rome, bien que ce soit à Rome qu’il doive régner (or moi je suis né à Antium) ; et viendra au monde en temps de paix (comme moi) bien qu’après sa mort il doive être la cause de guerres innombrables. Il doit mourir jeune, après avoir été d’abord aimé, puis haï par son peuple, et finir d’une fin misérable, abandonné de tous. « Ses serviteurs boiront son sang. » Puis, après sa mort, il régnera sur tous les autres dieux du monde, dans des pays encore inconnus de nous. Tout cela ne peut désigner que moi. Martine m’a dit d’ailleurs qu’on avait vu en Orient beaucoup de présages, établissant clairement que le Dieu était né enfin. Les Juifs étaient plus excités que tous les autres. Ils se figuraient que la chose les regardait particulièrement. C’est sans doute parce que j’ai visité autrefois leur ville de Jérusalem avec mon père et que j’y ai manifesté ma Divinité pour la première fois.
    Il fit une pause.
    — Je serais heureux de savoir comment, lui dis-je.
    — Oh ! pas grand-chose. Pour m’amuser j’entrai dans une maison où quelques-uns de leurs prêtres et de leurs docteurs discutaient de théologie et je m’écriai brusquement : « Vous n’êtes qu’un tas de vieux menteurs ignares ! Vous n’y connaissez rien ! » Mon cri fit sensation : un vieillard à longue barbe blanche me demanda : « Et toi, qui es-tu, mon enfant ? Es-tu celui qui doit venir ? – Oui, répondis-je hardiment. – Alors instruis-nous », dit-il en pleurant de joie. Mais je répondis : « Certainement non ! C’est au-dessous de ma dignité ! » et pris la fuite. Si tu avais vu leurs figures ! Non, pour en revenir à Livie, c’était une femme intelligente et capable à sa manière – un Ulysse femelle, comme je le lui dis une fois – et peut-être un jour la déifierai-je comme je l’ai promis ; mais rien ne presse. Ce ne sera jamais une Divinité importante. Peut-être en ferons-nous la Déesse des comptables, puisqu’elle était forte en arithmétique. Oui, et nous y ajouterons les empoisonneurs, comme pour Mercure, qui a sous sa protection les voleurs

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