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Moi, Claude

Moi, Claude

Titel: Moi, Claude Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Graves
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dans un état pitoyable de honte et de terreur. Il ôta l’anneau de son doigt et chercha autour de lui un endroit où le cacher.
    Macro seul conservait sa présence d’esprit. « Quel absurde mensonge ! cria-t-il. L’esclave est fou ! Fais-le crucifier, César ! Il y a une heure que nous avons quitté le vieil Empereur mort. » Il murmura quelques mots à l’oreille de Caligula, qu’on vit incliner la tête d’un air de soulagement reconnaissant. Puis il courut à la chambre de Tibère. Celui-ci, debout, grommelant et jurant, trébuchait péniblement vers la porte. Macro le saisit à bras-le-corps, le rejeta sur le lit et l’étouffa avec un oreiller. Caligula se tenait près de lui.
    On relâcha les compagnons de captivité d’Arruntius – beaucoup d’entre eux, soit dit en passant, devaient regretter plus tard de n’avoir pas suivi l’exemple de ce dernier. Mais outre les sénateurs il y avait dans la prison une cinquantaine d’individus accusés de trahison : c’étaient pour la plupart des boutiquiers qui avaient refusé le « tribut de protection » exigé par les capitaines de Macro dans tous les quartiers de la ville. Ils avaient déjà été condamnés et devaient être exécutés le 16 mars. À la nouvelle de la mort de Tibère, ils devinrent presque fous de joie à la pensée qu’ils étaient sauvés. Mais Caligula se trouvait toujours à Misène, et le gouverneur de la prison eut peur de perdre sa place s’il différait l’exécution. On tua donc les prisonniers et on les jeta du haut de l’Escalier, selon la coutume.
    Ce fut le signal d’une explosion de colère populaire contre Tibère. « Il pique comme une guêpe morte », cria quelqu’un. La foule s’amassa au coin des rues, suppliant solennellement notre Mère la Terre et les Juges des Morts de n’accorder au cadavre et à l’esprit de ce monstre ni repos ni paix jusqu’au jour de l’universelle dissolution. Le corps de Tibère fut ramené à Rome sous une forte escorte de Gardes. Caligula suivait le convoi à pied et les campagnards s’attroupaient autour de lui, non pas en deuil mais en vêtements de fête, pleurant de gratitude que le ciel leur eût conservé comme maître un fils de Germanicus. De vieilles paysannes criaient : « Caligula, notre chéri ! notre poulet ! notre petit ! notre étoile ! »
    À quelques lieues de Rome, il partit en avant pour préparer la réception solennelle du corps dans la ville. Mais après son passage la foule barricada la voie Appienne avec des planches et des blocs de pierres. Quand l’avant-garde de l’escorte apparut, on commença à la huer : « Tibère au Tibre ! Jetons-le du haut de l’Escalier ! Damnation éternelle à Tibère ! » Le chef du groupe cria : « Soldats, nous autres Romains, nous ne voulons pas de ce cadavre maudit dans la ville. Il nous porterait malheur. Remportez-le à Atella et brûlez-le à moitié dans l’amphithéâtre. » Il faut dire qu’être brûlé à moitié était le sort habituel des mendiants et des misérables. Pour Atella, c’était une ville célèbre par une sorte de mascarade champêtre qu’on y organisait tous les ans. Tibère, qui y possédait une villa, avait transformé ces innocentes débauches rurales en un modèle de corruption raffinée. Il avait obligé les habitants d’Atella à construire un amphithéâtre pour y représenter le nouveau spectacle, dans lequel il figurait lui-même.
    Macro ordonna à ses hommes de charger : beaucoup de citoyens furent tués ou blessés et trois ou quatre soldats assommés à coups de pavés. Enfin Caligula fit cesser le désordre, et le corps de Tibère fut dûment brûlé au Champ de Mars. Caligula prononça l’oraison funèbre. Elle fut cérémonieuse et ironique : on lui sut gré de parler beaucoup d’Auguste et de Germanicus et fort peu de Tibère.
    Ce soir-là, pendant le banquet, Caligula raconta une histoire qui fit pleurer toute l’assistance et dont il tira grand honneur. C’était, dit-il, à Misène, un matin. Éveillé comme de coutume par la douleur que lui causait le sort de sa mère et de ses frères, il avait décidé, coûte que coûte, de les venger enfin sur leur meurtrier. Le poignard de son père à la main, il était entré hardiment dans la chambre de Tibère. L’Empereur, en proie au cauchemar, gémissait et s’agitait sur son lit. Caligula levait lentement son poignard quand une voix divine avait résonné à son oreille :

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