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Moi, Claude

Moi, Claude

Titel: Moi, Claude Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Graves
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pouvons décider les Germains à l’accepter.
    — Incitatus, proposa quelqu’un en pouffant de rire.
    — Oui, bon Dieu ! Plutôt le vieux bidet que personne. Il nous faut quelqu’un tout de suite, pour calmer les Germains, sans quoi ils mettront tout en pièces.
    Mes deux gardiens fendirent la foule en me traînant derrière eux.
    — Hé, sergent ! cria l’un d’eux, regarde qui nous avons là ! Un vrai coup de chance, il me semble. C’est le vieux Claude. Pourquoi pas le vieux Claude comme empereur ? Nous ne trouverons pas mieux à Rome, même s’il boite et bredouille un peu.
    Acclamations, rires, cris de : « Vive l’empereur Claude ! » Le sergent me fit des excuses.
    — Comment, seigneur, nous te croyions tous mort. Mais tu es notre homme, pour sûr. Soulevez-le, camarades, que nous le voyions tous.
    Deux gros caporaux me saisirent par les jambes et me juchèrent sur leurs épaules. « Vive l’empereur Claude ! »
    — Posez-moi par terre ! criai-je furieux. Posez-moi par terre ! Je ne veux pas être empereur ! Je refuse d’être empereur. Vive la République !
    Mais ils ne firent qu’en rire.
    — En voilà une bien bonne ! Il dit qu’il ne veut pas être empereur. Modeste, hein ?
    — Donnez-moi une épée, criai-je. Je me tuerai plutôt.
    Messaline accourait vers nous.
    — Pour l’amour de moi, Claude, fais ce qu’on te demande. Pour l’amour de notre enfant ! Ils nous tueront tous si tu refuses. Ils ont déjà tué Césonie. Ils ont pris sa petite fille par les pieds et lui ont fait sauter la cervelle contre un mur.
    — Ça ira très bien, seigneur, une fois que tu t’y seras fait, dit un soldat en souriant. Ce n’est pas si désagréable, la vie d’un empereur.
    Je ne protestai plus. À quoi bon lutter contre le destin ? On m’emporta dans la cour d’honneur en chantant l’hymne ridicule composé pour l’avènement de Caligula : « Germanicus est revenu, voici la fin de nos misères. » Car je m’appelle aussi Germanicus. On me força à mettre la couronne de feuilles de chêne en or de Caligula, qu’on venait de reprendre à un des pillards. Pour garder l’équilibre je devais me cramponner aux épaules des caporaux. La couronne me glissait sur une oreille. Je me sentais parfaitement ridicule. Il paraît que je ressemblais à un criminel qu’on traîne à l’exécution. Les trompettes rassemblés sonnèrent le Salut impérial.
    Les Germains revenaient lentement vers nous. Ils savaient maintenant que Caligula était bien mort : ils l’avaient appris d’un sénateur qui venait à leur rencontre en habits de deuil. Furieux d’avoir été joués, ils avaient voulu retourner au théâtre, mais le théâtre était vide ; ils ne pouvaient plus se venger que sur les Gardes – et les Gardes étaient armés. Le Salut impérial les décida. Ils se précipitèrent vers moi en criant : « Hoch ! hoch ! vive l’empereur Claude ! », commencèrent à vouer frénétiquement leurs sagaies à mon service et à vouloir fendre la foule des Gardes pour venir me baiser les pieds. Je leur criai de rester où ils étaient : ils obéirent en se prosternant devant moi. On me porta en triomphe autour de la cour.
    Mais quels sont, le devinera-t-on jamais, les pensées et les souvenirs qui me passaient par l’esprit dans ces circonstances extraordinaires ? Pensais-je à la prophétie de la Sibylle, au présage du louveteau, aux conseils de Pollion, au rêve de Briséis ? À mon grand-père et à la liberté ? À mon père et à la liberté ? À la vie et à la mort de mes trois prédécesseurs impériaux : Auguste, Tibère, Caligula ? À tout ce que je risquais encore de la part des conspirateurs, du Sénat, des bataillons de Gardes restés au camp ? À Messaline et à notre enfant encore à naître ? À ma grand-mère Livie que j’avais promis de déifier si je devenais jamais empereur ? À Postumus et à Germanicus ? À Agrippine et à Néron ? À Camille ?
    Non, on ne devinera jamais ce qui me passait par l’esprit. Mais je serai franc et le dirai simplement, bien que l’aveu me couvre de honte. Je pensais : « Me voici donc empereur. Quelle bêtise ! Mais au moins je vais pouvoir faire lire mes livres. Des auditions publiques devant une nombreuse assistance. Sans compter que ce sont de bons livres – trente-cinq ans de travail assidu. Ce ne sera que justice. Pollion, pour trouver des auditeurs, donnait bien des dîners ruineux.

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