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Moi, Claude

Moi, Claude

Titel: Moi, Claude Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Graves
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Comme je voulais refuser, il me dit que si je protestais davantage il me paierait aussi les intérêts : c’était une dette envers la mémoire de son père.
    Quand je parlai de ma richesse à Calpurnia, elle me parut plus contrariée que joyeuse.
    — Cela ne te portera pas bonheur, dit-elle. Mieux vaut être modérément à l’aise, comme tu l’étais, que de courir le risque de voir les mouchards s’emparer de toute ta fortune après t’avoir accusé de trahison.
    Calpurnia, on s’en souvient, avait succédé chez moi à Acté. Elle était très avisée pour son âge – dix-sept ans.
    — Que veux-tu dire, Calpurnia ? demandai-je. Les mouchards ? Il n’en existe plus à Rome.
    — On ne m’a pas dit qu’ils aient été embarqués sur le même bateau que les Spintriens, dit-elle. Car Caligula avait banni les « orphelins » fardés de Tibère. Il avait envoyé toute la troupe en Sardaigne, une île fort malsaine, où on les forçait à gagner leur vie à la construction des routes. Quelques-uns d’entre eux se couchèrent par terre et moururent dès qu’on leur mit la pelle en main ; mais les autres, même les plus délicats, se décidèrent sous la menace du fouet. Ils eurent d’ailleurs bientôt la chance d’être capturés par un pirate qui les emmena à Tyr, où il les vendit comme esclaves à de riches débauchés.
    — Mais ils n’oseraient pas recommencer leurs tours de naguère, Calpurnia ?
    Elle posa sa broderie.
    — Claude, je ne suis ni politicienne ni lettrée. Mais je sais me servir de mon simple bon sens de prostituée et faire des additions faciles. Combien le vieil Empereur a-t-il laissé ?
    — À peu près vingt-sept millions de pièces d’or. C’est beaucoup.
    — Et combien le nouveau a-t-il payé en legs et en primes ?
    — Au moins trois millions et demi.
    — Et depuis qu’il est Empereur, combien de panthères, d’ours, de lions, de tigres, de taureaux, a-t-il fait venir pour les faire tuer dans le cirque par ses chasseurs ?
    — Vingt mille, peut-être – probablement davantage.
    — Et combien d’autres animaux pour les sacrifier dans les temples ?
    — Je ne sais pas. À mon avis entre cent et deux cent mille.
    — Ces flamants, ces antilopes, ces zèbres, ces castors ont dû lui coûter quelque chose ! Eh bien, le prix des animaux, le salaire des chasseurs, celui des gladiateurs, naturellement – on m’a dit qu’ils gagnaient quatre fois plus que du temps d’Auguste – les banquets officiels, les voitures décorées, les représentations théâtrales – on raconte qu’en rappelant les acteurs bannis par le vieil Empereur il leur a payé toutes leurs années d’absence – joli, n’est-ce pas ? – et, oh ! mon Dieu ! tout ce qu’il a dépensé aux courses ! Entre une chose et l’autre il ne doit pas lui rester beaucoup plus de vingt millions, n’est-ce pas ?
    — Je ne pense pas que tu te trompes de beaucoup, Calpurnia.
    — Sept millions en trois mois ! À ce train-là, comment l’argent pourra-t-il durer, même si tous les riches qui viennent à mourir lui lèguent leur fortune ? Les revenus de l’Empire ne sont plus ce qu’ils étaient du temps où ta vieille grand-mère tenait la boutique et vérifiait les comptes.
    — Peut-être deviendra-t-il plus économe quand la première griserie de la richesse sera calmée. Il a d’ailleurs une bonne excuse : sous le règne de Tibère la stagnation de l’argent dans les coffres du Trésor a eu un effet désastreux sur le commerce. Il veut remettre quelques millions dans la circulation.
    — Enfin, tu le connais mieux que moi. Peut-être saura-t-il s’arrêter quand il le faudra. Mais s’il continue à ce train, en deux ans il n’aura plus un sou – et alors qui paiera ? C’est pourquoi j’ai parlé des mouchards et des procès de trahison.
    — Calpurnia, dis-je, pendant que j’ai encore l’argent je vais t’acheter un collier de perles. Tu es aussi intelligente que belle.
    — Je préfère de l’argent, si cela ne te fait rien, dit-elle.
    Le lendemain je lui donnai cinq cents pièces d’or. Calpurnia, prostituée et fille de prostituée, était plus intelligente, plus loyale et meilleure qu’aucune des quatre patriciennes que j’ai épousées. Je commençai à la mettre dans mes confidences, et je puis dire dès maintenant que je ne l’ai jamais regretté.
    Les funérailles de Tibère à peine achevées, Caligula, malgré le mauvais temps,

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