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Moi, Claude

Moi, Claude

Titel: Moi, Claude Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Graves
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manifester leur angoisse. Quelques-uns allaient jusqu’à coller des placards sur la porte de leur maison, promettant à la Mort, si elle épargnait l’Empereur, de lui donner en compensation leur propre vie. Le peuple décida à l’unanimité que tous les bruits de la circulation, les cris de la rue et la musique devaient cesser à un quart de lieue au moins du palais. Jamais on n’était allé jusque-là, même pendant la maladie d’Auguste, celle dont Musa était censé l’avoir guéri. Mais les bulletins disaient toujours : « État stationnaire ».
    Un soir Drusilla vint frapper à ma porte.
    — Oncle Claude, dit-elle, l’Empereur demande à te voir d’urgence. Viens immédiatement. Ne tarde sous aucun prétexte.
    — Que me veut-il donc ?
    — Je ne sais pas. Mais pour l’amour de Dieu laisse-le dire ! Il a une épée : il te tuera si tu ne dis pas ce qu’il veut. Ce matin il m’a mis la pointe sur la gorge en me disant que je ne l’aimais pas. J’ai dû jurer et rejurer que je l’aimais. « Tue-moi si tu veux, mon chéri », lui disais-je. Oh ! oncle Claude, pourquoi suis-je née ? Il est fou. Il l’a toujours été. Mais à présent il est plus que fou. Il est possédé.
    Je me rendis à la chambre de Caligula, qui était ornée d’épaisses tentures et de lourds rideaux. Une faible lampe à huile brûlait à son chevet. L’air sentait le rance. « Toujours en retard ! dit la voix dolente de Caligula. Je t’avais dit de te dépêcher. » Il n’avait pas l’air malade, seulement malsain. Deux sourds-muets de grande taille, armés de haches, montaient la garde de chaque côté du lit.
    Je le saluai.
    — Si tu savais combien je me suis dépêché ! Sans mon infirmité, j’arrivais presque avant d’être parti. Quelle joie de te voir en vie et d’entendre ta voix. César ! Puis-je oser espérer que tu vas mieux ?
    — Je n’ai jamais été vraiment malade. Je me reposais. Et je subissais une métamorphose. C’est l’événement religieux le plus important de l’histoire. Rien d’étonnant à ce que la ville se tienne si tranquille.
    J’eus l’impression qu’il voulait que je le plaignisse.
    — La métamorphose a-t-elle été douloureuse, César ? J’espère que non.
    — Aussi douloureuse que si j’étais ma propre mère. J’ai eu un accouchement très difficile. Grâce à Dieu, j’ai tout oublié. Ou presque tout. Car j’étais un enfant très précoce : je me rappelle distinctement le visage admiratif des sages-femmes qui m’ont lavé et le goût du vin qu’elles m’ont versé entre les lèvres pour me remettre de mes efforts.
    — Une mémoire surprenante, César. Mais puis-je te demander humblement en quoi consiste cette glorieuse métamorphose ?
    — Cela ne se voit donc pas tout de suite ? demanda–t-il fâché.
    Le mot de « possédé » prononcé par Drusilla et ma conversation avec Livie mourante me donnèrent la clef du mystère. Je tombai la face contre terre et l’adorai comme un Dieu.
    Au bout d’une minute ou deux je lui demandai sans me relever si j’étais le premier à jouir de ce privilège. Il répondit que oui et je me confondis en expressions de reconnaissance. Il me piquait pensivement le cou de la pointe de son épée. Je me crus perdu.
    — Je reconnais, dit-il, que je porte encore mon déguisement mortel : il n’est donc pas surprenant que tu n’aies pas remarqué immédiatement ma Divinité.
    — Je ne sais pas comment j’ai pu être aussi aveugle. Dans cette lumière trouble, ton visage luit comme une lampe.
    — Vraiment ? demanda-t-il avec intérêt. Lève-toi et donne-moi ce miroir.
    Je lui tendis un miroir d’acier poli et il convint que son visage jetait des lueurs éclatantes. Dans cet accès de bonne humeur, il se mit à me faire des confidences.
    — J’ai toujours su que cela devait arriver, me dit-il. Je ne me suis jamais senti autrement que divin. Pense donc ! à deux ans j’ai étouffé une mutinerie dans l’armée de mon père et par conséquent sauvé Rome. C’était évidemment un prodige, comme les histoires du Dieu Mercure enfant ou celle d’Hercule étranglant les serpents dans son berceau.
    — Encore, lui dis-je, Mercure n’a-t-il fait que voler quelques bœufs et tirer une note ou deux de sa lyre. Ce n’était rien en comparaison.
    — Bien mieux, à l’âge de huit ans j’avais tué mon père. Jupiter lui-même n’en a jamais fait autant. Il s’est contenté de

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