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Moi, Claude

Moi, Claude

Titel: Moi, Claude Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Graves
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et pendant longtemps n’appela plus mon père que « le libre Romain ».
    À Rome, mon père s’irritait de l’esprit d’obéissance passive qu’il trouvait partout, et regrettait la vie des camps. Pendant un voyage d’Auguste et de Tibère en France il occupa temporairement une des hautes magistratures de la ville ; le règne de l’arrivisme et de la politicaille l’écœura. Il dit à un ami, qui me le répéta des années plus tard, qu’il y avait plus d’esprit de liberté dans une seule de ses compagnies que dans l’ordre des sénateurs tout entier.
    Peu avant sa mort il écrivit à ce sujet une lettre amère à Tibère. Pourquoi, demandait-il, Auguste ne suivait-il pas le glorieux exemple du dictateur Sylla, qui, seul maître de Rome après la première guerre civile, s’était borné à régler à son idée quelques affaires d’État avant de redevenir simple citoyen ? Il avait toujours dit que telle était son intention. Mais s’il ne le faisait pas avant peu, il serait trop tard. Les rangs de la vieille noblesse s’éclaircissaient : les proscriptions et les guerres civiles en avaient emporté la fleur. Les survivants, perdus au milieu de la noblesse nouvelle – si noblesse il y avait – se conduisaient de plus en plus en domestiques d’Auguste et de Livie. Bientôt Rome oublierait jusqu’au sens du mot liberté et tomberait sous une tyrannie aussi barbare que celle de l’Orient. Ce n’était pas pour en arriver là que lui, mon père, avait fait sous le commandement suprême d’Auguste tant de rudes campagnes. Son affection et son admiration pour ce dernier, qui avait été pour lui un second père, ne l’empêchaient pas d’exprimer ses sentiments. Il demandait l’avis de Tibère : ne pourraient-ils à eux deux décider ou même forcer Auguste à se retirer du pouvoir ? « S’il y consent, ajoutait-il, je l’aimerai et l’admirerai mille fois plus qu’avant. Mais hélas, le plus grand obstacle sera probablement la vanité secrète et illégitime que retire notre mère Livie de l’exercice du pouvoir suprême… »
    La malchance voulut que cette lettre fût remise à Tibère en présence d’Auguste et de Livie. « Une dépêche de ton noble frère ! » cria le courrier impérial en la lui tendant. Tibère, loin d’en soupçonner le contenu, demanda à Livie et à Auguste la permission de l’ouvrir aussitôt. « Certainement, Tibère, répondit Auguste, mais à condition que tu nous la lises. » Il fit sortir les serviteurs. « Allons, ne perdons pas de temps, quelles sont ses dernières victoires ? J’ai hâte de le savoir. Ses lettres sont toujours si pleines d’intérêt – bien plus que les tiennes, mon cher ami, pardonne-moi de te le dire. »
    Tibère lut les premiers mots et rougit violemment. Il songea bien à sauter les passages dangereux, mais il n’y avait guère que cela dans la lettre, sauf à la fin, où mon père racontait sa marche sur l’Elbe et se plaignait d’une blessure à la tête qui lui donnait des vertiges. D’étranges présages étaient survenus récemment : une pluie d’étoiles filantes, des gémissements de femmes dans la forêt. À l’aube, deux êtres divins, vêtus non pas comme des Germains mais comme des Grecs, s’étaient avancés sur des chevaux blancs jusqu’au milieu du camp. Enfin une femme de taille surhumaine était apparue à la porte de sa tente et lui avait dit en grec de ne pas aller plus loin parce que le destin s’y opposait.
    Tibère lut un mot par-ci, par-là, s’arrêta, dit que l’écriture était illisible, recommença, s’arrêta de nouveau et finalement se récusa.
    — Comment ? dit Auguste. Tu peux certainement en lire davantage.
    Tibère se ressaisit.
    — À dire vrai, Auguste, la lettre n’en vaut pas la peine. Mon frère n’était certainement pas bien quand il l’a écrite.
    Auguste s’inquiéta.
    — Il n’est pas sérieusement malade, j’espère ?
    Mais ma grand-mère Livie devina la vérité, et comme si son anxiété maternelle l’emportait sur les convenances elle arracha la lettre des mains de Tibère. Elle la lut jusqu’au bout, fronça les sourcils, puis la tendit à Auguste en disant :
    — Ceci te regarde. Ce n’est pas mon rôle de punir un fils, même dénaturé : c’est le tien, comme tuteur et comme chef de l’Etat.
    Auguste, effrayé, se demanda de quoi il pouvait s’agir. Il lut la lettre, mais elle le choquait plus à cause de Livie que pour

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