Moi, Claude
d’Auguste.
Il retourna à Rome avec celui-ci, répudia sa femme et épousa Julie. Le mariage fut si bien accueilli par le peuple et les cérémonies si magnifiques que les troubles politiques se dissipèrent à l’instant. Agrippa ajouta encore à la popularité du règne en menant à bien l’affaire des aigles perdues, qui furent remises officiellement à Tibère, représentant Auguste. Ces aigles étaient des objets sacrés – plus chers aux cœurs romains que n’importe quelle statue de dieux. Quelques prisonniers revinrent aussi, mais après trente-deux ans d’absence, ils ne valaient plus guère la peine qu’on se réjouît de leur retour : la plupart préférèrent d’ailleurs rester chez les Parthes, où ils s’étaient fixés et avaient épousé des femmes du pays.
Ma grand-mère Livie fut loin d’être enchantée du marché conclu avec Agrippa, et dont le seul bon côté était l’insulte faite à Octavie par la répudiation de sa fille. Mais elle dissimula ses sentiments. Pendant neuf ans il fut impossible de se passer des services d’Agrippa : au bout de ce temps il mourut subitement à la campagne. Auguste se trouvant alors en Grèce, aucune enquête n’eut lieu. Agrippa laissait trois garçons et deux filles, héritiers légitimes d’Auguste : il semblait difficile que Livie les dépossédât de leurs droits en faveur de ses propres fils.
Cependant Tibère épousa Julie, qui avait facilité les choses à Livie en tombant amoureuse de lui et en suppliant Auguste d’user de son influence en sa faveur. Comme elle menaçait de se tuer, il finit par y consentir. Tibère, à qui ce mariage faisait horreur, n’osa pas se dérober. Il dut répudier sa femme Vipsania – la fille d’un premier mariage d’Agrippa – qu’il aimait passionnément. Quelque temps après, l’ayant rencontrée par hasard dans la rue, il la suivit des yeux avec tant de passion qu’Auguste, lorsqu’il l’apprit, ordonna au nom de la décence d’empêcher désormais pareilles rencontres. Les officiers des deux maisons reçurent la consigne d’y veiller. Un peu plus tard Vipsania épousa un jeune patricien ambitieux, appelé Gallus. Et, pendant que j’y pense, il faut que je mentionne aussi le mariage de mon père avec ma mère Antonia, fille cadette de Marc-Antoine et d’Octavie. Le mariage eut lieu l’année de la maladie d’Auguste et de la mort de Marcellus.
Mon oncle Tibère était un Claude de la mauvaise espèce : sombre, réservé et cruel. Jusque-là trois influences avaient tenu sa mauvaise nature en échec : d’abord celle de mon père, un des meilleurs Claudes, gai, ouvert et généreux : puis celle d’Auguste, homme honnête et bienveillant, qui sans aimer Tibère le traitait avec bonté pour l’amour de sa mère Livie : enfin celle de Vipsania. Mais une fois parvenus à l’âge de servir, mon père et Tibère furent envoyés faire campagne dans des pays différents : ensuite vint la séparation avec Vipsania, puis une certaine froideur de la part d’Auguste, qu’offensait le dégoût mal dissimulé de mon oncle pour Julie. Soustrait à ces trois influences, Tibère ne tarda pas à tourner mal.
C’est le moment, je crois, de le décrire. Il était grand, brun de cheveux et blanc de peau, largement bâti, avec des épaules magnifiques et des mains assez puissantes pour casser une noix ou traverser une pomme de part en part entre le pouce et l’index. Moins lent dans ses mouvements, il eût fait un champion de boxe. Un jour, au cours d’une lutte amicale, il tua un de ses camarades en lui fracassant le crâne de son poing nu. En marchant, il tenait le cou légèrement penché en avant, les yeux au sol. Son visage eût été beau sans les boutons qui le défiguraient, les yeux trop proéminents et l’expression maussade qui lui était habituelle. Ses statues, qui corrigent ces défauts, le font paraître extrêmement beau. Il parlait peu, et très lentement, si bien qu’en causant avec lui on avait envie de finir ses phrases en même temps que d’y répondre : mais, quand il le voulait, c’était un orateur éloquent. Il devint chauve de bonne heure, sauf sur la nuque où il portait les cheveux longs, à la mode de l’ancienne noblesse.
Impopulaire dans la société romaine, il réussissait parfaitement à l’armée. En campagne, il ne se ménageait pas, dormant rarement sous la tente, partageant la nourriture et la boisson de ses hommes, toujours à leur tête au
Weitere Kostenlose Bücher