Moi, Claude
d’Auguste de privilèges spéciaux, particulièrement en ce qui concernait les héritages. Les célibataires et les femmes stériles n’avaient pas le droit d’hériter : leur part revenait à leurs sœurs fécondes.
… Claude, Claude, vieux bavard, te voici presque au bout de ton quatrième rouleau, et tu n’en es pas encore à l’endroit de ta naissance… Parles-en sans plus tarder, sinon tu n’arriveras jamais à la moitié de ton histoire. Écris : « Je suis né à Lyon, en France, le 1er août, un an avant la mort de mon père. » Voilà, c’est fait. Mes parents avaient eu six enfants avant moi, mais comme ma mère suivait toujours mon père dans ses campagnes, il fallait qu’un enfant fût très robuste pour y résister. Les deux seuls survivants, Livilla, mon aînée d’un an, et Germanicus, mon aîné de cinq, avaient hérité de la magnifique constitution de mon père. Ce n’était pas mon cas. Je faillis mourir trois fois avant d’atteindre ma seconde année, et si la mort de mon père ne nous avait alors ramenés à Rome, il est fort probable que cette histoire n’aurait jamais été écrite.
5
À Rome nous habitions la vaste maison que mon grand-père avait laissée par testament à ma grand-mère. Elle était située sur le Palatin, près du palais d’Auguste et du temple d’Apollon. Le Palatin surplombait la place du Marché ; au-dessous se trouvait le vieux temple de bois des Dieux Jumeaux, Castor et Pollux, que Tibère remplaça seize ans plus tard, à ses frais, par un magnifique monument de marbre peint et doré comme un boudoir de patricienne. L’air était plus sain sur la colline que près du fleuve : la plupart des maisons appartenaient à des sénateurs.
J’étais un enfant débile – un vrai champ de bataille de maladies, disaient les médecins – et je dois peut-être la vie au seul fait que celles-ci n’ont jamais pu se mettre d’accord pour savoir laquelle aurait l’honneur de m’emporter. D’abord je suis né avant terme, à sept mois, puis le lait de ma nourrice me donna une affreuse éruption : ensuite j’attrapai la malaria, une rougeole qui me laissa un peu dur d’oreille, un érysipèle, une colite, enfin une paralysie infantile qui me raccourcit la jambe gauche et dont je restai boiteux. Je n’ai jamais pu courir ni marcher longtemps : la plupart de mes voyages se font en litière. De plus, après avoir mangé je ressens souvent au creux de l’estomac une douleur si atroce que deux ou trois fois, si mes amis ne m’avaient retenu, je me serais plongé un couteau à l’endroit douloureux. Cela s’appelle « passion cardiaque », et j’ai entendu dire qu’il n’y a rien de pire au monde, si ce n’est la cystite. Je dois donc, je pense, me féliciter de n’avoir jamais eu de cystite.
On pourrait croire que ma mère Antonia, une belle et noble femme parfaitement élevée par sa mère Octavie et l’unique amour de mon père, m’entoura de soins particuliers et me chérit davantage pour mes souffrances. Il n’en est rien. Elle fit pour moi strictement ce qu’exigeait son devoir, mais elle ne m’aimait pas : au contraire, elle me détestait non seulement à cause de ma débilité, mais parce que je lui avais valu une grossesse difficile et une délivrance douloureuse dont elle mit des années à se remettre. Ma naissance prématurée est due à une commotion qu’elle reçut pendant un festin donné en l’honneur d’Auguste, alors que celui-ci inaugurait à Lyon, quartier général de mon père, son propre autel et celui de Roma. Un esclave sicilien à demi fou, qui servait à table, tira tout à coup un poignard et le brandit derrière mon père. Antonia fut la seule à le voir : elle eut la présence d’esprit de lui sourire et de secouer la tête en lui faisant signe de rentrer son poignard. Deux autres serviteurs, qui avaient suivi le regard de ma mère, purent le saisir et le désarmer, mais ma mère s’évanouit, et aussitôt les douleurs commencèrent. Peut-être est-ce à ce fait que je dois ma crainte morbide de l’assassinat, puisqu’on prétend qu’un choc prénatal peut se transmettre. Mais est-il même besoin de chercher jusque-là ? On ne meurt pas souvent de mort naturelle dans la famille impériale.
J’étais de nature affectueuse, et l’attitude de ma mère me fit beaucoup souffrir. Livilla, ma sœur, une belle fille vaine, cruelle et ambitieuse – le prototype de la mauvaise variété
Weitere Kostenlose Bücher