Moi, Claude
l’accusation portée contre ces braves gens par le père de Bassus. C’est une fausseté évidente. Si Bassus était vraiment à leur solde, quel besoin avait-il d’interroger ce capitaine sur tes allées et venues ? Ne pouvait-il demander aux généraux eux-mêmes tous les renseignements dont il avait besoin ? Non, le père de Bassus essayait simplement par ce mensonge maladroit de sauver la vie de son fils et la sienne. »
Caligula parut convaincu. Il me donna sa main à baiser, nous fit tous lever et rendit les épées. Bassus et son père furent mis en pièces par les Germains. Mais Caligula ne pouvait se débarrasser de la terreur de l’assassinat, que vinrent bientôt augmenter une série de présages malheureux. D’abord la foudre tomba sur la loge du portier du palais. Puis Incitatus, un soir, à dîner, brisa d’une ruade une coupe d’albâtre qui avait appartenu à Jules César et répandit le vin sur les dalles. Mais le pire fut ce qui arriva à Olympie, quand les ouvriers du temple commencèrent, sur les ordres de Caligula, à débiter la statue de Jupiter en morceaux pour la transporter à Rome. Ils devaient commencer par la tête, afin que celle-ci pût servir de mesure à la tête de Caligula qu’on devait mettre à sa place. Ils avaient fixé la poulie au toit du temple, passé une corde autour du cou et s’apprêtaient à tirer, quand soudain un coup de tonnerre pareil à un éclat de rire retentit dans tout l’édifice. Les ouvriers s’enfuirent épouvantés. On n’en trouva pas d’assez hardis pour prendre leur place.
Voyant que la « rigueur inébranlable » de Caligula faisait trembler le monde entier au bruit de son nom, Césonie lui conseilla alors d’essayer de gouverner par la douceur et de gagner l’affection de son peuple. Elle se rendait compte du danger de leur position à tous deux : si quelque chose arrivait à Caligula elle y laisserait elle-même sa tête, à moins qu’il ne fût notoire qu’elle avait fait son possible pour le détourner de ses cruautés. Il se conduisait maintenant avec une imprudence extrême. Il allait trouver tour à tour le commandant des Gardes, le trésorier et le commandant des Germains et feignait de les prendre dans sa confidence. « Je me fie à toi, disait-il à chacun, mais les autres complotent contre moi et je veux que tu les regardes comme mes plus mortels ennemis. » Ils se communiquaient ces confidences, et naturellement, quand un vrai complot fut tramé, ils fermèrent les yeux. Caligula remercia Césonie de ses conseils et promit de les suivre dès qu’il aurait fait la paix avec ses ennemis. Il réunit le Sénat et nous adressa la parole en ces termes : « Bientôt, mes ennemis, je vous accorderai une amnistie et régnerai mille ans dans l’amour et dans la paix. Telle est la prophétie. Mais avant l’avènement de cet âge d’or il faut que des têtes roulent sur ces dalles et que le sang jaillisse jusqu’aux solives. Ce seront cinq minutes terribles. » Nous aurions préféré avoir les mille ans d’abord et les cinq minutes après.
Le complot vint de Cassius Chéréas. C’était un soldat à l’ancienne mode, habitué à obéir aveuglément aux ordres de ses supérieurs. Il fallait des circonstances particulièrement horribles pour qu’un homme de cette trempe songeât à conspirer contre la vie du commandant en chef auquel il avait juré fidélité avec toute la solennité imaginable. Caligula avait fort mal agi envers Cassius. Il lui avait fermement promis le commandement des Gardes, puis, sans un mot d’explication ni d’excuse, avait donné le titre à un capitaine de promotion récente, sans aucune distinction militaire, en récompense d’un remarquable exploit d’ivrogne. L’homme avait parié de vider une cruche de vin de treize litres sans l’ôter de ses lèvres : non seulement il y avait réussi – j’étais présent – mais il avait gardé le vin par-dessus le marché. Caligula le nomma aussi sénateur.
Cassius était toujours chargé des missions les plus ingrates – la perception d’impôts qui n’étaient pas dus, la saisie de biens pour des délits imaginaires, voire l’exécution d’innocents. Feignant de le prendre pour un vieux mignon efféminé, Caligula faisait sans cesse de sales plaisanteries à son sujet devant les autres officiers, qui étaient obligés d’en rire. Cassius venait tous les jours à midi lui demander le mot de passe. Jusque-là c’était
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