Moi, Claude
africain et une femme aux cheveux teints de safran, vêtue de la robe sombre des prostituées. « Tant mieux, dit Cassius au Tigre. Plus il y aura de confusion, plus nous aurons de chances. »
À part les Germains et Caligula lui-même, le pauvre Claude était presque le seul au palais à ne rien savoir du complot. C’est que le pauvre Claude, en tant qu’oncle de Caligula, devait être tué aussi. On voulait en finir avec toute la famille. Les conjurés craignaient, je pense, que je ne me fisse empereur et ne voulusse venger Caligula. Ils étaient résolus à rétablir la République. Si les imbéciles m’avaient mis dans la confidence, cette histoire aurait eu une fin bien différente. Car j’étais meilleur républicain qu’aucun d’eux. Mais ils se défièrent de moi et me condamnèrent à mort sans pitié.
Caligula lui-même en savait plus long que moi sur le complot, en un sens, car il venait de recevoir un oracle du Temple de la Fortune, à Antium : « Méfie-toi de Cassius. » Seulement il se méprit et rappela un autre Cassius, Longin, le premier mari de Drusilla, d’Asie Mineure où il était gouverneur. Longin pouvait lui en vouloir d’avoir tué Drusilla et il descendait de ce Cassius qui avait participé à l’assassinat de Jules César.
J’arrivai au théâtre le matin à huit heures et vis que les huissiers m’avaient réservé une place. J’étais assis entre le commandant des Gardes et celui des Germains. Le commandant des Gardes se pencha au-dessus de moi et demanda :
— Sais-tu la nouvelle ?
— Quelle nouvelle ? demanda le commandant des Germains.
— On donne aujourd’hui un nouveau drame.
— Lequel ?
— La Mort du Tyran.
Le commandant des Germains lui jeta un coup d’œil rapide et cita en fronçant le sourcil :
… Tais-toi, bon compagnon,
De peur qu’un des Grecs ne vienne à t’entendre.
— Oui, dis-je, il y a changement de programme. Mnester va nous donner La Mort du Tyran. Il y a des années qu’on ne l’a joué. C’est l’histoire du roi Cinyre, qui refuse de participer à la guerre contre Troie et qu’on met à mort pour sa lâcheté.
La pièce commença. Mnester était tout à fait en forme. À l’endroit où il est tué par Apollon, le sang gicla sur ses vêtements d’une petite vessie cachée dans sa bouche. Caligula l’envoya chercher et l’embrassa sur les deux joues. Cassius et le Tigre l’accompagnèrent dans sa loge comme pour le protéger contre ses admirateurs, puis ils sortirent par la porte des coulisses. Les capitaines profitèrent du brouhaha de la distribution pour s’esquiver à leur tour.
— C’était merveilleux, dit Asprenas à Caligula. Que dirais-tu maintenant d’un plongeon dans la piscine et d’un déjeuner léger ?
— Non, dit Caligula, je veux voir ces petites acrobates. On dit qu’elles sont très bonnes. Je crois que je vais rester jusqu’à la fin. C’est le dernier jour.
Il était d’excellente humeur.
Vinicius se leva pour aller prévenir Cassius, le Tigre et les autres de ne pas attendre. Caligula le tira par son manteau.
— Ne te sauve pas, mon cher. Il faut que tu voies ces fillettes. Il y a une danse qu’on appelle la Danse du Poisson et qui te donne l’impression d’être à dix brasses sous l’eau.
Vinicius se rassit et assista à la Danse du Poisson. Mais il lui fallut d’abord subir un court interlude mélodramatique intitulé Lauréolus, ou le Chef des Voleurs. On s’y massacrait abondamment, et les acteurs, une troupe de second ordre, s’étaient tous fourré des vessies pleines de sang dans la bouche pour faire comme Mnester. On n’imagine pas dans quel gâchis de sinistre augure ils laissèrent la scène ! La Danse du Poisson terminée, Vinicius se leva de nouveau.
— Pour parler franc, seigneur, je voudrais pouvoir rester, mais Cloacine m’appelle. J’ai dû manger je ne sais quoi…
Que l’offrande soit douce et consistante
Pas trop rapide et pourtant pas trop lente…
Caligula se mit à rire :
— En tout cas, mon cher, ce n’est pas ma faute. Tu es un de mes meilleurs amis. Pour rien au monde je ne droguerais ta nourriture.
Vinicius sortit par la porte des coulisses et trouva Cassius et le Tigre dans la cour.
— Vous feriez mieux de rentrer, dit-il. Il veut rester jusqu’à la fin.
— Très bien, dit Cassius. Rentrons. Je le tuerai là où il se trouve. Je compte que vous ne m’abandonnerez pas.
À ce moment précis
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