Moi, Claude
s’instituait principal légataire.
Il arrivait au tribunal le matin de bonne heure et inscrivait sur un tableau noir la somme qu’il voulait ce jour-là – c’étaient généralement deux cent mille pièces d’or. Quand il l’avait atteinte, il fermait le tribunal. Un matin il fit une nouvelle ordonnance réglementant les heures d’ouverture permises aux différents commerces. Il la fit écrire en caractères minuscules sur une petite affiche qu’on apposa très haut sur un pilier de la place du Marché : personne n’en soupçonna l’importance et ne prit la peine de la lire. Dans l’après-midi ses officiers relevèrent les noms de plusieurs centaines de commerçants qui avaient enfreint l’ordonnance sans le vouloir. Le jour du jugement, il autorisa tous ceux qui l’avaient couché sur leur testament à demander un adoucissement de peine. Il ne s’en trouva pas beaucoup.
Les gens riches prenaient l’habitude de prévenir le trésorier impérial qu’ils avaient fait de Caligula leur principal héritier. Mais ce n’était pas toujours une bonne précaution, car Caligula se servait de la boîte à pharmacie qu’il avait héritée de ma grand-mère Livie. Un jour il envoya un présent de fruits au miel à plusieurs testateurs récents : ils moururent tous dans la journée. Il fit aussi venir à Rome mon cousin, le roi du Maroc, et le mit à mort en disant simplement : « J’ai besoin de ta fortune, Ptolémée. »
Pendant qu’il était en France, il y avait eu relativement peu de condamnations à Rome et les prisons étaient presque vides : on manquait donc de victimes à jeter aux bêtes sauvages. Caligula remédia à la pénurie en utilisant à cet effet des membres de l’assistance, à qui on coupait d’abord la langue pour les empêcher d’appeler au secours. Il devenait de plus en plus capricieux. Un jour un prêtre s’apprêtait à lui sacrifier, sous son aspect d’Apollon, un jeune taureau. Suivant le rite, un diacre assommait d’abord la bête avec une hache de pierre, ensuite le prêtre lui coupait la gorge. Caligula entra, vêtu en diacre, et posa la question habituelle « Faut-il ? » Quand le prêtre répondit : « Fais », il lui abattit la hache sur le crâne.
Je vivais toujours dans l’indigence avec Briséis et Calpurnia : je n’avais pas de dettes, mais pas d’argent non plus, à part le petit revenu que me donnait ma ferme. J’avais soin que Caligula fût au courant de ma pauvreté : il m’autorisait gracieusement à rester sénateur, bien que je n’eusse plus les capacités financières requises. Mais je sentais ma position devenir de jour en jour moins sûre. Une nuit, au début d’octobre, je fus éveillé à minuit par des coups violents frappés à ma porte d’entrée. Je me mis à la fenêtre. « Qui est là ? demandai-je.
— On te demande immédiatement au palais.
— C’est toi, Cassius Chéréas ? Sais-tu si on va me tuer ?
— J’ai simplement ordre de te ramener sur-le-champ. »
Calpurnia pleurait – Briséis aussi : elles m’embrassèrent toutes deux tendrement. Pendant qu’elles m’aidaient à m’habiller je leur donnais mes instructions à la hâte au sujet des biens qui me restaient, de la petite Antonia, de mes funérailles, et ainsi de suite. La scène était fort touchante, mais je n’osai pas la prolonger. Je clopinai bientôt au côté de Cassius dans la direction du palais. Il m’annonça d’un ton bourru que deux autres ex-consuls avaient été convoqués en même temps que moi. Quand il m’apprit leurs noms, je n’en fus que plus effrayé. C’étaient des hommes riches – tout à fait la sorte de gens que Caligula pouvait accuser d’avoir conspiré contre lui. Mais moi – pourquoi ?
J’étais le premier : les deux autres arrivèrent presque aussitôt, essoufflés par la course et la peur. On nous conduisit dans la salle de justice et on nous fit asseoir sur une espèce d’échafaudage qui dominait l’estrade du tribunal. Un piquet de Gardes germaniques se tenait derrière nous, bavardant à mi-voix dans leur langue. La pièce n’était éclairée que par deux petites lampes à huile posées sur le tribunal. Je remarquai que les fenêtres étaient tendues de draperies noires brodées d’étoiles d’argent. Mes compagnons et moi nous serrâmes la main en signe d’adieu. C’étaient des hommes dont j’avais reçu plus d’un affront, mais dans l’ombre de la mort, on oublie ces
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