Moi, Claude
elle haussa les épaules : Messaline avait deux fois sa beauté, trois fois son intelligence, la naissance et la fortune par-dessus le marché… « Tu en es déjà amoureux », me dit-elle.
Je me sentais gêné. Pendant ces quatre années de misère, Calpurnia avait été ma seule véritable amie. Que n’avait-elle pas fait pour moi ? Pourtant elle avait raison : j’étais amoureux de Messaline, et celle-ci allait devenir ma femme. Il n’y avait pas de place chez moi pour elles deux.
En me quittant, Calpurnia pleurait. Moi aussi. Je n’étais pas amoureux d’elle, mais c’était ma meilleure amie, et je savais que si j’avais jamais besoin d’elle je la trouverais prête à m’aider. Inutile de dire que je ne l’oubliai pas en recevant l’argent de la dot.
32
Messaline était extrêmement belle, svelte et vive, avec des yeux de jais et une masse bouclée de cheveux noirs. Elle parlait très peu : son sourire mystérieux me rendait fou. Dans sa joie d’avoir échappé à Caligula, elle comprit vite les privilèges que lui vaudrait notre mariage, et se comporta de manière à me persuader qu’elle m’aimait. C’était pour ainsi dire la première fois que j’étais amoureux depuis l’adolescence, et quand un homme de cinquante ans, pas très beau ni très intelligent, s’éprend d’une fille de quinze, très intelligente et très belle, c’est généralement mauvais signe pour lui. Le mariage eut lieu en octobre – en décembre Messaline était enceinte de mes œuvres. Elle semblait aimer beaucoup ma petite Antonia, et j’étais heureux que l’enfant eût désormais quelqu’un à appeler « mère » – quelqu’un d’assez rapproché d’elle comme âge pour lui servir d’amie et d’assez familier avec les usages du monde pour l’y conduire, ce que ne pouvait faire Calpurnia.
On nous invita à retourner vivre au palais. Mais nous y arrivâmes à un mauvais moment. Un marchand appelé Bassus avait interrogé un capitaine des Gardes sur les habitudes de Caligula. Était-il vrai qu’il ne pouvait pas dormir et se promenait la nuit dans les cloîtres du palais ? À quelle heure ? Dans quel cloître ? Avec quelle escorte ? Le capitaine rapporta l’incident à Cassius et Cassius à Caligula. Bassus fut arrêté et mis à la question. Il reconnut qu’il avait voulu tuer l’Empereur, mais soutint jusque sous la torture qu’il n’avait pas de complices. On envoya alors dire à son vieux père de venir assister à son exécution. Le vieillard, qui ignorait tout des projets et même de l’arrestation de son fils, resta frappé d’horreur en le trouvant gémissant sur les dalles du palais, le corps brisé par la torture. Il se contint pourtant et remercia Caligula de lui permettre de fermer les yeux de son fils. Caligula éclata de rire.
— Lui fermer les yeux ! Il n’aura pas d’yeux à fermer, l’assassin ! Je les lui arracherai dans un instant. Et les tiens aussi.
Le père de Bassus supplia :
— Épargne-nous, César. Nous ne sommes que des outils entre les mains de puissants personnages. Je te donnerai tous les noms.
Caligula, frappé, l’interrogea. Le vieillard désigna le commandant des Gardes, celui des Germains, le trésorier Calliste, Césonie, Mnester et trois ou quatre autres. Caligula blêmissait de terreur.
— Et qui, demanda-t-il, veulent-ils mettre à ma place ?
— Ton oncle Claude.
— Est-il dans le complot, lui aussi ?
— Non, ils voulaient en faire une espèce d’homme de paille.
Caligula s’éloigna à la hâte et fit appeler dans une pièce à part le commandant des Germains, celui des Gardes, le trésorier et moi. Il me montra du doigt aux trois autres. « Cet individu est-il capable de faire un empereur ? »
Ils répondirent avec surprise : « Pas à moins que tu ne le dises, Jupiter. »
Alors Caligula sourit d’un air pathétique. « Je suis seul, dit-il, vous êtes trois ; deux d’entre vous sont armés et je suis sans défense. Si vous voulez me tuer, faites-le sans plus attendre et mettez ce pauvre idiot sur le trône à ma place. »
Nous tombâmes tous face contre terre et les deux soldats, sans se relever, lui tendirent leurs épées. « Loin de nous une pensée aussi perfide, seigneur ! Si tu ne nous crois pas, tue-nous. »
Il allait bel et bien le faire. Mais, profitant de son hésitation, je lui dis : « Dieu tout-puissant, le colonel qui m’a amené ici m’a parlé de
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