Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Moi, Claude

Moi, Claude

Titel: Moi, Claude Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Graves
Vom Netzwerk:
certaine personne » avait été exilée pour la vie dans une île et se trouvait déjà en route. Il fut plus accablé encore de voir que Julie n’avait pas pris le seul parti honorable : celui de se tuer. Phœbé, sa dame d’honneur et sa confidente, s’était pendue le jour même de la publication du décret. « Que ne suis-je le père de Phœbé ! » dit Auguste. Il ne reparut pas en public de toute une quinzaine. Je n’ai pas oublié ce mois affreux. Livie fit prendre le deuil à tous les enfants : on nous défendit de jouer, de faire du bruit et même de sourire. Quand nous revîmes Auguste il avait vieilli de dix ans. Il fallut des mois pour qu’il trouvât le courage de retourner au terrain de jeux du collège ou même de reprendre ses exercices matinaux, qui consistaient en une promenade rapide autour du parc, suivie d’une course d’obstacles peu élevés.
    Livie s’empressa de communiquer les nouvelles à Tibère. Sur son conseil celui-ci écrivit deux ou trois fois à Auguste en le priant de pardonner à Julie comme il lui pardonnait : en dépit de sa conduite il désirait qu’elle conservât tous les biens qu’elle tenait de lui. Auguste ne répondit pas. Il était fermement persuadé que la froideur, la cruauté de Tibère et ses mauvais exemples étaient responsables de la dégradation morale de Julie. Loin de le rappeler de l’exil, il refusa l’année suivante de renouveler son titre de Protecteur.
    Bien des années plus tard les régiments de Germanie chantaient une chanson de marche composée dans le rude style tragi-comique des camps, et intitulée : Les Trois Chagrins du seigneur Auguste. Celui-ci, dit la chanson, pleura longtemps la mort de Marcellus, davantage le déshonneur de Julie, mais bien plus encore la perte des aigles de Varus, car avec chacune d’elles disparaissait tout un régiment des plus braves soldats de Rome.
     
    Le seigneur Auguste hurlait
    En se cognant la tête :
    Varus, Varus, général Varus,
    Rends-moi mes trois Aigles !
     
    Il déchirait ses couvertures,
    Ses draps, son édredon :
    Varus, Varus, général Varus,
    Rends-moi mes bataillons !
     
    Dans la chanson, Auguste jure que la vie de Marcellus et l’honneur de Julie ne sont rien pour lui auprès de la vie et de l’honneur de ses soldats. Mais je crois, quant à moi, que pour chaque heure passée à pleurer les aigles il a passé un mois entier à pleurer Julie.
    Il ne voulait pas savoir où elle était, de peur de ne pouvoir résister à la tentation de prendre un bateau et d’aller la voir. Livie en profitait pour la traiter avec rigueur. On lui défendait le vin, les fards, les vêtements fins : sa garde n’était composée que de vieillards et d’eunuques. Elle ne pouvait recevoir personne : on lui donnait chaque jour, comme lorsqu’elle était jeune fille, une certaine quantité de laine à filer. L’île, située près des côtes de Campanie, était fort petite, et comme Livie y laissait la même garde des années sans relève, tous ces hommes en voulaient à Julie de leur exil en ce lieu étroit et malsain. Dans cette laide affaire une seule personne eut un beau rôle : ce fut la mère de Julie, Scribonia, qu’Auguste avait répudiée pour épouser Livie. C’était maintenant une très vieille femme qui vivait depuis longtemps dans la retraite : cependant elle alla hardiment trouver Auguste et lui demanda la permission de partager l’exil de sa fille. On la lui avait ôtée, dit-elle, à peine née, mais elle l’avait toujours adorée de loin, et maintenant que le monde entier se tournait contre sa chérie, elle voulait montrer ce que c’était que l’amour d’une vraie mère. À son avis la pauvre enfant n’était pas à blâmer : on lui avait rendu la vie difficile. Livie, qui se trouvait là, ricana, mais elle devait se sentir assez mal à l’aise. Auguste, maîtrisant son émotion, signa la requête.
    Cinq ans plus tard, le jour de l’anniversaire de Julie, il demanda tout à coup à Livie :
    — Quelle est la dimension de l’île ?
    — Quelle île ? demanda Livie.
    — L’île… où vit une malheureuse.
    — Oh ! quelques minutes de marche d’un bout à l’autre, dit Livie avec une indifférence affectée.
    — Quelques minutes ! tu plaisantes ?
    Il imaginait toujours Julie dans une île comme Chypre, Lesbos ou Corfou. Au bout d’un moment il demanda :
    — Comment s’appelle-t-elle ?
    — Pandataria.
    — Quoi, cet endroit désolé ?

Weitere Kostenlose Bücher