Moi, Claude
depuis son départ. Certes, il avait mal agi, mais maintenant il était devenu plus sage : ses lettres respiraient le plus grand dévouement et la plus grande fidélité à Auguste. D’ailleurs Caius, qui avait appuyé sa demande de retour, allait avoir besoin d’un collaborateur de confiance maintenant que son frère était mort.
Un soir, un diseur de bonne aventure, un Arabe appelé Thrasylle, vint trouver Tibère dans sa villa du promontoire. Il était déjà venu deux ou trois fois et avait fait beaucoup de prédictions très encourageantes, mais dont aucune ne s’était encore réalisée.
Tibère, devenu sceptique, dit à son affranchi que si Thrasylle ne lui donnait pas entière satisfaction cette fois, il faudrait que le pied lui manquât en descendant la falaise. Thrasylle arriva.
— Comment sont mes étoiles aujourd’hui ? demanda tout d’abord Tibère.
Thrasylle s’assit et se mit à faire des calculs astrologiques très compliqués avec un morceau de charbon sur le dessus d’une table de pierre.
— Elles sont dans une conjonction exceptionnellement favorable, prononça-t-il enfin. La mauvaise crise de ta vie est passée. Désormais tu n’as plus que de la bonne fortune.
— Excellent, dit sèchement Tibère. Et les tiennes ?
Thrasylle refit des calculs, puis leva les yeux avec une terreur réelle ou simulée.
— Ciel ! s’écria-t-il, un danger terrible me menace du côté de l’air et de l’eau.
— N’y a-t-il pas moyen d’y parer ? demanda Tibère.
— Je ne peux pas le dire. Si je parviens à vivre encore douze heures, ma fortune sera, toutes proportions gardées, aussi heureuse que la tienne : mais toutes les planètes malfaisantes sont en conjonction contre moi et le danger semble inévitable. Vénus seule pourrait me sauver.
— Que viens-tu de dire à son sujet ? je l’ai oublié.
— Elle entre dans le Scorpion, qui est ton signe, ce qui présage un changement extrêmement heureux dans ton destin. J’en déduis encore autre chose : tu entreras bientôt dans la famille Julia, qui, je n’ai pas besoin de te le rappeler, descend directement de Vénus, la mère d’Énée. Tibère, mon humble sort est étrangement lié au tien. Si tu reçois de bonnes nouvelles demain avant l’aube, c’est un signe que j’ai devant moi autant d’années heureuses que toi-même.
Ils étaient assis sous le porche de la villa. Tout à coup une fauvette sauta sur les genoux de Thrasylle, et, penchant la tête de côté, se mit à gazouiller.
— Merci, petite sœur ! dit Thrasylle à l’oiseau. Ce bateau est arrivé juste à temps.
Il se tourna vers Tibère.
— Le ciel soit loué ! La fauvette dit que le bateau t’apporte de bonnes nouvelles, et je suis sauvé.
Tibère se dressa et embrassa Thrasylle, en lui avouant quelles avaient été ses intentions. Le bateau, en effet, apportait des dépêches impériales : Auguste annonçait à Tibère la mort de Lucius et lui permettait gracieusement de rentrer à Rome, mais pour le moment en qualité de simple citoyen.
Peu de temps après, le roi d’Arménie se révolta : le roi des Parthes menaçait de se joindre à lui. Auguste était trop âgé pour faire campagne : d’ailleurs ses affaires ne lui permettaient pas de quitter Rome. Quant à Caius, qui s’était montré bon gouverneur en temps de paix, il semblait trop jeune pour mener à bien une guerre aussi importante. Cependant on ne pouvait le faire remplacer à la tête de ses régiments sans paraître avouer qu’on avait nommé consul un homme incapable d’un haut commandement militaire. Il fallut bien se fier à lui en espérant qu’il s’en tirerait pour le mieux.
Au début la chance le favorisa. Le roi d’Arménie fut tué en repoussant une attaque de pillards nomades sur sa frontière : le roi des Parthes, en apprenant la nouvelle, demanda à traiter avec Caius, au grand soulagement d’Auguste. Malheureusement le nouveau roi d’Arménie désigné par Rome, un Mède, ne pouvait convenir aux nobles arméniens, et quand Caius eut renvoyé à Rome les renforts qu’il jugeait désormais inutiles, la guerre éclata malgré tout. Caius rassembla ses troupes et marcha sur l’Arménie : quelques mois plus tard, il y fut traîtreusement blessé par un général ennemi qui lui avait demandé une entrevue. La blessure était légère : il n’y attacha pas d’importance et termina la campagne avec succès. Mais il avait été mal soigné : sa
Weitere Kostenlose Bücher