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Moi, Claude

Moi, Claude

Titel: Moi, Claude Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Graves
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si c’eût été lui-même. « C’est un plaisir que de gagner avec toi, mon cher : en général mes amis les plus dévoués m’en veulent quand je gagne, sous prétexte que je suis l’Empereur et que les dieux ne devraient pas donner encore à un homme qui a déjà trop reçu. Aussi – tu l’as peut-être remarqué – je m’arrange toujours pour me tromper en faisant les comptes, mais personne d’autre que toi n’a l’honnêteté de me le signaler… » J’aurais bien voulu pouvoir citer la suite du passage, où il était question du mauvais joueur qu’était Tibère ; malheureusement, je ne pouvais pas y songer.
    Mais voici une digression bien mal à propos, et pendant que j’écris un livre sur les dés, Germanicus attend son argent avec impatience. Le vieil Athénodore, s’il était encore en vie, ne manquerait pas de me le reprocher sévèrement.
    L’arrivée de l’or au camp ne rétablit pas l’ordre – au contraire. Les hommes, en possession de cette richesse soudaine, jouèrent et burent avec rage. Germanicus décida qu’il n’était pas prudent pour Agrippine, qui se trouvait là, de rester au camp. Elle l’accompagnait toujours aux armées, comme ma mère l’avait fait pour mon père – d’abord par amour, mais aussi parce qu’elle ne se souciait pas de rester seule à Rome et de risquer d’être un beau jour traînée devant Auguste sur une fausse accusation d’adultère. Ses deux aînés, mes neveux Néron et Drusus, étaient à Rome avec ma mère et moi, mais elle avait gardé le petit Caius. Le charmant enfant était la mascotte de l’armée. On lui avait fait un costume de soldat en miniature, avec une cuirasse, une épée, un casque et un bouclier de fer-blanc. Tout le monde le gâtait. Quand sa mère lui mettait ses habits et ses sandales ordinaires, il pleurait et réclamait son épée et ses petites bottes pour aller voir les soldats. On le surnommait pour cette raison Caligula, ou Petite-Botte.
    Agrippine jura qu’elle ne craignait rien et aimait mieux mourir là avec Germanicus que d’apprendre son assassinat une fois arrivée en lieu sûr. Mais il lui demanda si elle pensait que Livie ferait une bonne mère pour leurs orphelins, ce qui la décida du coup. Plusieurs femmes d’officiers partirent avec elle, toutes en larmes et vêtues de deuil. Elles traversèrent lentement le camp à pied, sans leur suite habituelle, pareilles aux fugitives d’une ville condamnée. Un seul chariot grossier, traîné par une mule, était tout leur bagage. Cassius Chéréas les accompagnait, portant à califourchon sur ses épaules Caligula qui criait et faisait avec son épée les passes réglementaires de la cavalerie. Elles quittèrent le camp de très bonne heure : presque personne ne les vit partir, car les portes n’étaient pas gardées : on ne sonnait plus la diane et les hommes dormaient comme des pourceaux jusqu’à dix ou onze heures. Seuls, quelques vieux soldats, levés tôt par habitude et qui ramassaient du bois pour leur déjeuner, demandèrent où allaient les dames.
    — À Trêves ! cria Cassius. Le commandant en chef envoie sa femme et son enfant sous la protection des alliés français, qui sont barbares, mais fidèles, plutôt que de courir le risque de les faire assassiner par le fameux 1 er régiment. Allez le dire à vos camarades !
    Les soldats rentrèrent au camp en hâte. L’un d’entre eux, le vieux Pomponius, prit une trompette et sonna l’alarme. Les hommes se précipitèrent hors de leurs tentes, à demi endormis, l’épée à la main.
    — Qu’y a-t-il ? qu’est-il arrivé ?
    — On nous l’a ôté. C’est la fin de notre veine. Nous ne le reverrons plus jamais.
    — Qui cela ? Qui nous a-t-on ôté ?
    — Notre petit. Petite-Botte. Son père dit qu’il ne peut plus se fier au 1 er régiment, et il l’envoie chez ces Français du diable. Dieu sait ce qui va lui arriver là-bas ! Vous savez comment sont les Français. Sa mère est partie aussi – à son septième mois, et à pied comme une esclave, pauvre dame ! Ô camarades ! La femme de Germanicus ! La fille du vieil Agrippa que nous appelions l’Ami du Soldat ! Et notre Petite-Botte !
    Les soldats sont vraiment des gens extraordinaires — durs comme du cuir de bouclier, superstitieux comme des Égyptiens et sentimentaux comme de vieilles Sabines. Dix minutes plus tard deux mille hommes, ivres de chagrin et de repentir, assiégeaient la tente de

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