Moi, Claude
Germanicus, le suppliant de faire revenir sa femme et leur cher petit.
Germanicus parut, le visage pâle et irrité, et leur dit de le laisser tranquille. Ils s’étaient déshonorés – eux, lui-même et le nom de Rome – et de sa vie il n’aurait plus confiance en eux.
— Dis-nous que faire, mon général ! Nous ferons tout ce que tu voudras. Nous te jurons de ne plus jamais nous révolter. Pardonne-nous. Nous te suivrons jusqu’au bout du monde. Mais rends-nous notre petit compagnon !
Germanicus fit ses conditions, et ils jurèrent de lui obéir. Il envoya alors un messager à la poursuite d’Agrippine et de Cassius. Les hommes coururent à leurs tentes et demandèrent à leurs camarades de les aider à arrêter les meneurs. Une centaine d’entre eux furent saisis et portés, face contre terre, jusqu’au tribunal, autour duquel les deux régiments se formèrent en carré, l’épée nue. Un colonel faisait monter chaque prisonnier à tour de rôle sur un grossier échafaud dressé à côté : si les hommes de la compagnie le déclaraient coupable il était jeté en bas et décapité par eux. Pendant les deux heures que dura ce procès sommaire, Germanicus resta assis sans mot dire, les bras croisés, le visage impassible. Presque tous les prisonniers furent reconnus coupables.
Un moment plus tard de grands hourras éclatèrent : le messager revenait au galop : devant lui, sur le pommeau de la selle, se tenait Caligula, criant à tue-tête et agitant sa petite épée.
Il s’écoula trois ans avant que Germanicus pût revenir à Rome. Pendant toute cette période il écrivit à Tibère sur un ton d’affection respectueuse. Tibère lui répondait amicalement, s’imaginant de la sorte le battre à son propre jeu. Il entreprit même de lui rembourser le montant du double legs et d’étendre cette largesse aux régiments des Balkans. En fait, il donna bien à ces régiments – par politique et sous la menace d’une nouvelle mutinerie – les trois pièces d’or de supplément ; mais quant au paiement de sa dette, il le remit de quelques mois, sous prétexte de difficultés financières. Naturellement Germanicus ne réclama pas l’argent – naturellement aussi Tibère ne le paya jamais. Germanicus m’écrivit pour me demander s’il pouvait attendre pour me rembourser que Tibère se fût acquitté envers lui. Je répondis que j’avais toujours eu l’intention de lui faire cadeau de cette somme.
Peu de temps après l’avènement de Tibère, j’écrivis à celui-ci que j’avais étudié le droit et l’administration dans l’espoir de pouvoir enfin servir mon pays d’une manière quelconque. Il répondit qu’il était certainement anormal de voir le frère de Germanicus et son propre neveu aller vêtu comme un simple chevalier ; maintenant que j’étais prêtre d’Auguste on devait évidemment me permettre de porter le costume de sénateur – et même, si j’étais sûr de ne me livrer à aucune folie en la portant, la robe de brocart des consuls. Je lui écrivis aussitôt que je préférais même la charge sans la robe à la robe sans la charge. Sa seule réponse fut de me faire présent de quarante pièces d’or « pour m’acheter des jouets le jour de la Fête des Fous ». Le Sénat me vota la robe de brocart et m’offrit même, en manière d’hommage à Germanicus, de siéger parmi les anciens consuls. Mais là Tibère interposa son veto : je ne pouvais, assura-t-il, discuter des affaires de l’État sans mettre la patience de ses collègues à trop rude épreuve.
Vers la même époque il s’opposa également à un autre décret. Agrippine avait mis au monde à Cologne une fille à laquelle on avait donné son nom. (Cette autre Agrippine, soit dit en passant, devait devenir une des pires parmi les Claudes : en fait elle promet aujourd’hui de dépasser toutes ses devancières en arrogance et en vice). Agrippine resta souffrante plusieurs mois après ses couches, et ne pouvant s’occuper de Caligula, elle l’envoya à Rome. L’enfant était devenu une sorte de héros national. Quand il allait à la promenade avec ses frères, tout le monde l’admirait et l’acclamait. Âgé de trois ans à peine, mais extrêmement précoce, il avait le caractère le plus difficile qu’on pût voir, aimable seulement quand on le flattait et n’obéissant que si on le traitait avec fermeté. Il devait d’abord habiter chez son aïeule Livie, mais comme elle n’avait
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