Moi, Claude
la suppression du testament il pourrait essayer de rétablir Postumus dans son héritage légitime ou même de constituer un nouveau triumvirat Tibère-Germanicus-Postumus. Agrippine aimait tendrement son frère Postumus, et Germanicus écoutait sa femme comme Auguste avait écouté Livie. Si Germanicus marchait sur Rome le Sénat irait à sa rencontre comme un seul homme, Tibère le savait. En mettant les choses au pis, l’attitude modeste qu’il affectait lui permettrait du moins de sauver sa tête et de vivre dans une retraite honorable.
Les sénateurs savaient bien ce que cachait cette prétendue modestie. Ils allaient renouveler leurs supplications quand Gallus intervint, et d’une voix posée : « Très bien, Tibère, quelle partie du gouvernement désires-tu que nous te donnions ? »
À cette question inattendue et malencontreuse, Tibère demeura confondu. Gallus poursuivit son avantage. « La seule division possible de l’Empire serait, premièrement Rome et toute l’Italie, deuxièmement l’armée, troisièmement les provinces. Que choisirais-tu ? »
Tibère se tut. Gallus continua : « Bien. Je sais qu’il n’y a pas de réponse : c’est pourquoi j’ai posé la question. Je voulais te forcer à reconnaître qu’il était absurde de songer à partager en trois un système administratif établi et coordonné par un seul individu. Ou nous retournons à un gouvernement républicain, ou nous maintenons la monarchie. Puisque la Chambre semble décidée en faveur de la monarchie, c’est lui faire perdre son temps que de continuer à parler de triumvirat. On t’offre la couronne. C’est à prendre ou à laisser. »
Un autre sénateur, un ami de Gallus, ajouta : « Comme Protecteur du Peuple tu as le droit d’opposer ton veto à la proposition des consuls. Si vraiment tu n’en veux pas, il y a une demi-heure que tu aurais dû le faire. »
Tibère dut s’excuser auprès du Sénat et dire que l’honneur trop soudain l’avait pris au dépourvu. Il demanda l’autorisation de méditer un peu plus longuement sa réponse.
Le Sénat se sépara, et aux séances suivantes Tibère se laissa accorder, une par une, toutes les charges d’Auguste. Mais il ne se servit jamais du nom d’Auguste (que celui-ci lui avait légué) sinon pour écrire aux rois étrangers, et il eut soin de décourager toute velléité de lui rendre des honneurs divins. Livie s’était vantée publiquement que son fils recevait la monarchie de ses mains : il tenait donc naturellement à donner l’impression qu’il ne lui devait rien à elle, mais que la monarchie lui avait été imposée contre son gré par le Sénat.
Celui-ci, qui flattait Livie d’une manière extravagante, voulut lui conférer des honneurs inouïs. Mais Livie, étant femme, ne pouvait assister aux débats et se trouvait légalement sous la tutelle de Tibère, devenu chef de la famille Julia. Comme il avait refusé lui-même le titre de « Père de la Patrie », il refusa pour elle celui de « Mère de la Patrie », sous prétexte que sa modestie ne lui permettrait pas de l’accepter. Cependant il la craignait et avait besoin d’elle pour apprendre les secrets de l’Empire. Ce n’était pas seulement une question de routine à s’assimiler : les dossiers de tous les personnages des deux ordres, les rapports secrets de tous genres, la copie des lettres suspectes qu’on avait interceptées mais dûment fait suivre : tout cela se trouvait sous la garde de Livie et écrit en chiffre secret, si bien que Tibère ne pouvait le lire sans son aide. Mais de son côté il savait qu’elle avait grand besoin de lui. Il existait entre eux une convention tacite de coopération méfiante. Elle alla jusqu’à l’approuver d’avoir refusé en son nom le titre qu’on lui offrait : en retour il lui promit de lui faire voter tous ceux qu’elle voudrait dès que leur position paraîtrait sûre. Comme preuve de sa bonne foi il mit le nom de Livie à côté du sien dans toutes les lettres officielles. En échange elle lui remit la clef du chiffre ordinaire – le secret de l’autre, prétendait-elle, avait disparu avec Auguste. Le chiffre extraordinaire était celui de tous les dossiers.
Revenons à Germanicus. En apprenant à Lyon la mort d’Auguste, la teneur du testament et l’avènement de Tibère, il jugea de son devoir de se montrer fidèle au nouveau souverain. Il ignorait la suppression du testament : d’ailleurs il croyait
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