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Mon Enfant De Berlin

Mon Enfant De Berlin

Titel: Mon Enfant De Berlin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Wiazemsky
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séparées d’usines en pleine campagne. Cologne m’a laissé une impression invraisemblable. Cela a dû être une ville magnifique. Maintenant, il ne reste plus que le fleuve qui est très beau et surtout la cathédrale qui, de loin, ne paraît pas très atteinte, et qui est invraisemblable de beauté et de grandeur au milieu de toutes ces ruines.
    Ici, nous avons un travail terrible. Il ne sera pas question de s’amuser, mais nous ferons un travail vraiment utile.
    Boire de l’eau égale la mort. On ne mange que des conserves.
    Ce matin, au réveil, le moral n’était pas très bon, maintenant cela va beaucoup mieux. C’est tout de même tellement passionnant !
    Je vous embrasse très fort mes parents chéris.
    Claire Mauriac
    French Red Cross - British Control Commission -
    D.P. Section - Berlin Area - B.A.O.R. »
     
    Claire referme l’enveloppe destinée à ses parents. Un avion partira le lendemain pour Paris, quelqu’un, à bord, se chargera de transmettre le courrier. Les passagers seront des Français qui avaient été enrôlés de force au Service du travail obligatoire, le S.T.O., et qui avaient servi d’otages jusqu’au bout à l’armée allemande en déroute. Ceux qui ont survécu à la prise de Berlin par les Soviétiques ont été assimilés aux vaincus et enfermés dans des camps par les vainqueurs. Les retrouver puis les libérer n’est pas une tâche facile, a-t-on expliqué aux nouvelles venues dont Claire fait partie.
    Claire écrit assise sur un lit de camp, le bloc de papier calé sur ses genoux. Autour d’elle cinq jeunes femmes se préparent pour la nuit. Faute de leur avoir déniché un logement décent, la Croix-Rouge les a momentanément logées dans l’ancien réfectoire de ce qui fut jadis un collège de garçons. C’est provisoire, elles le savent et s’accommodent les unes aux autres. Claire, la plus réfractaire à la vie communautaire apprend à être patiente. Elle est en cela aidée par Rolanne, une jeune femme qui l’a soignée trois jours auparavant durant sa crise de foie. D’ailleurs, un coup d’œil à Rolanne, couchée à sa droite, suffit à lui redonner confiance. Malgré le bruit, les conversations à peine chuchotées autour, Rolanne dort, vaincue par la fatigue.
    — Et une lettre de plus, une ! Tu ne veux pas écrire à mes parents tant que tu y es ?
    Mistou, étendue sur son lit de camp, attend le sommeil en se forçant à bâiller. Elle porte un élégant pyjama en soie et s’est enduit le visage d’une épaisse crème qui sent le concombre. Malgré les quatre jours de voyage entre Paris et Berlin, l’inconfort du lieu, l’absence de salle de bains, la promiscuité avec les cinq autres femmes, sa beauté demeure intacte, comme à jamais préservée. Claire lui sourit et, lui désignant Rolanne :
    — On devrait en faire autant.
    Le réfectoire où elles se trouvent ne possède ni rideaux ni volets. Dehors le jour baisse et l’obscurité se fait peu à peu. Ici et là des lampes de poche s’allument. Dans l’unique arbre de l’ancienne cour de récréation des merles chantent. Claire s’étonne de leur présence. Comment survivent-ils dans cette ville en ruine ? Claire veut oublier les cadavres qu’elle a ramassés avec Mistou et Rolanne ; l’aspect si horriblement fantomatique des Berlinois à peine entrevus car la plupart continuent à se cacher dans des caves ; les bandes d’enfants affamés qui errent et se livrent à des trafics de toute sorte ; les femmes berlinoises surtout dont la souffrance si visible lui causait chaque fois un sentiment d’effroi et de révolte ; leur mutisme. Claire et ses compagnes ont obtenu l’aide de l’une d’elles qui parle cinq langues, dont le français, l’anglais et le russe. Elle a traduit leurs paroles sans jamais émettre le moindre commentaire personnel, sans accepter de communiquer quoi que ce soit, fermée sur elle-même, ailleurs. En fin de journée, quand on lui a remis sa part de conserves américaines et une bouteille de brandy, elle a eu ces mots, les seuls : « Pour le monde entier nous sommes des Trümmerweiber , des filles des ruines et de la crasse. » Puis, elle s’en est allée vers une destination inconnue.
    Dans le dortoir maintenant presque obscur, les filles commencent à se taire. Dehors, les merles n’en finissent pas de chanter et ce chant aide Claire à chasser les images de ces deux journées à Berlin. C’est un chant d’espoir, elle ne veut

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