Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Mon Enfant De Berlin

Mon Enfant De Berlin

Titel: Mon Enfant De Berlin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Wiazemsky
Vom Netzwerk:
souvenir de cette journée, plus de trois mois après, est encore si vif que Claire se sent soudain glacée. Elle revoit la pluie, la douleur de la famille, son chagrin à l’annonce de la mort du charmant Laurent. Elle éprouve à nouveau dans son corps cette sensation de bête traquée, piégée. Elle n’est pas dans sa chambre mais étendue sur un des canapés du salon. Ses parents dînent chez des amis, elle est seule dans l’appartement. Par terre, un plateau avec des fruits et du thé froid. Des fenêtres ouvertes lui arrivent les cris des hirondelles, les bruits lointains de la ville. La vision des tableaux sur les murs, la présence des meubles si familiers, du piano, des bibelots que sa mère se plaît à disposer partout et qui irritent son père, tout ce décor l’apaise. « C’est fini, je suis libre ! » dit-elle à haute voix. Mais elle reprend le récit un instant interrompu de cet affreux mois d’avril.
     
    « J’étais malheureuse à en crever car je ne pouvais concevoir que tout n’était pas perdu. Je m’endormais et me réveillais avec une énorme boule d’angoisse au fond de la gorge, dans l’estomac, dans le cœur. En plus toute ma famille épiait mes gestes et mes paroles. J’avais envie de fuir en hurlant.
    Et voilà qu’un jour... Mais entre-temps il y eut l’armistice du 8 mai. Je n’ai jamais été au fond de l’angoisse comme ce jour-là. La veille, dans une foule en délire, je remontais les Champs-Élysées avec Claude et Luce et je pleurais toute seule, très silencieusement devant la joie de tous qui n’était pas ma joie. Triste, triste jour de fête.
    Et voilà qu’un jour, coup de téléphone de ma chef de section.
    — Mauriac, vous partez cet après-midi pour l’Allemagne.
    — Mademoiselle, c’est impossible !
    Contre toute attente, elle fut très gentille et surtout très habile : “Je comprends très bien, mais on a besoin de vous en Allemagne, ce sera très intéressant”, etc. J’avoue qu’en la quittant je commençai à envisager mon départ. Et j’arrivai chez la responsable de toute la Croix-Rouge.
    — Voyons, Mauriac, qu’est-ce que c’est que cette histoire ! Vous ne l’aimez pas beaucoup, ce garçon ! Vous n’êtes plus ma fille si vous ne partez pas !
    Etc.
    Bref, en cinq minutes je décidais de partir et allais sans plus attendre chez Patrice à qui je parlais du devoir avec un grand D, etc.
    Pour moi, j’envisageais ce voyage en Allemagne comme des dernières vacances avant ce mariage qui me faisait horreur mais qui devait se faire et qui se ferait.
    Je suis restée trois mois en Allemagne, trois mois merveilleux. Travail épatant et utile. Je n’oublierai pas la joie de tous ces prisonniers que nous avons transportés.
    Tout le nord de ce pays est magnifique. Rien à voir avec la France. Il me semble que tout est plus grand, plus puissant, plus triste mais plus beau. Je n’oublierai jamais ces énormes forêts aux arbres immenses, ces pins aux troncs si serrés que le soleil ne peut y pénétrer, ni ces longues routes bordées de bouleaux, ni les étendues immenses recouvertes de bruyère rose, ni ces lacs entourés d’arbres verts, ni l’Elbe, ni la mer, ni surtout ces grandes villes en ruine, Brême, Hambourg...
    En trois mois, j’ai fait près de 20 000 km.
    Il a fallu que j’attende jusqu’à maintenant dans mon métier de conductrice pour savoir ce que c’est que de s’endormir au volant. C’est une chose affreuse, un effort de chaque instant qui fait mal. Je me souviens d’un jour où, ayant roulé une journée et une nuit sans arrêt (nous allions et revenions de la zone russe), je demandai au type qui était là de me bourrer de coups de poing. »
     
    Claire se redresse soudain en entendant résonner la sonnerie du téléphone. Un bref instant, elle retrouve l’effroi de la fin de l’année 1944 et du début de l’année 1945 quand des appels anonymes menaçaient de mort son père. Cette partie sombre de sa vie, elle aussi, est finie. Une envie de ne pas répondre lui vient mais la sonnerie insiste. Et s’il était arrivé un accident à l’un des siens ? Le réflexe de la peur reste gravé en elle.
    D’une main tremblante, elle décroche le combiné et reconnaît tout de suite la voix. Une voix qu’elle n’aime pas, qu’elle juge affectée, sépulcrale : celle de Patrice.
    — Allô ! est-ce que Mlle Mauriac est là ?
    — Non, monsieur, elle est partie.
    — Elle est à la

Weitere Kostenlose Bücher