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Mon Enfant De Berlin

Mon Enfant De Berlin

Titel: Mon Enfant De Berlin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Wiazemsky
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et elle s’entend répondre :
    — Laurent vient d’être tué en Allemagne.
    Claire pleure autant sur le retour de Patrice que sur la mort du jeune homme.
     
    Le soir, dans l’obscurité de sa chambre, elle déroule le film de cette journée et constate avec amertume que sa vie, sa vraie vie, est finie. Pour tous, elle est déjà mariée, même si le deuil impose de retarder la cérémonie. Ses parents ont été bouleversés par le destin tragique de cette famille amie, n’ont pas soupçonné que Claire avait changé, que les quatre années de guerre avaient modifié ses sentiments. Eux sont prêts à accueillir Patrice, à lui apporter toute l’affection qu’il est en droit d’attendre.
    Claire quitte son lit, ouvre la porte-fenêtre. Malgré la fraîcheur de la nuit, elle s’accoude à la rambarde du balcon. Cinq étages plus bas, la rue est déserte. Elle songe avec un étrange détachement que cela lui serait facile de sauter dans le vide. Elle voit son corps en chemise de nuit étendu sur le trottoir. Peut-être, dans l’immeuble en face, quelqu’un aurait assisté à cette chute et crié d’horreur. Un cri qui aurait alerté sa famille, les voisins. Un cri qui les aurait hantés longtemps. Pour eux tous, ce serait un accident. Une jeune femme sur le point de se marier ne peut pas se donner la mort.

 
    C’est l’été, le premier depuis la fin de la guerre, Paris a retrouvé sa splendeur, ses touristes et sa joie de vivre. Du moins, c’est ce que ressent Claire en dévalant l’avenue Mozart. Il lui semble que toutes ces femmes aux jambes et aux bras nus, en robes fleuries, sont aussi heureuses qu’elle ; de même que les vieillards qui se reposent sur les bancs publics, les enfants qui jouent au ballon. Elle ne voit pas le ciel qui se couvre et les nuages annonciateurs de pluie. Pour elle, c’est le plus beau jour de l’été. Elle se sent revivre, elle est libre.
    Rue Ribera, rue François-Gérard, avenue Théophile-Gautier. Claire a hâte de regagner son appartement et d’écrire le récit des derniers mois, le pourquoi de son allégresse. Son journal délaissé depuis décembre 1944 l’attend, elle va le sortir une dernière fois.
     
    Journal de Claire :
     
    « Mercredi 22 août 1945
    Je ne sais pas par quel bout commencer.
    Je me retrouve ce soir, après tant d’années, exactement au même point que j’étais avant la guerre. Je suis libre, je n’épouserai pas Patrice ! Il m’a fallu des jours et des jours uniquement pour concevoir qu’au fond je n’étais pas obligée de l’épouser.
    Mais je voudrais faire un bref résumé de ma vie.
    Le 5 mars, je partais pour Fréjus comme conductrice, puis à Cannes.
    Je garde un merveilleux souvenir de cette époque, je sortais tous les jours avec Jean-Pierre, dit Pierrot, adorable garçon qui devint amoureux fou de moi. Et moi, je ne fis rien pour l’arrêter. Je lui racontais simplement que j’attendais Patrice qui était en Allemagne, mais je lui avouai que je ne l’aimais pas.
    Avec Pierrot, nous allions tous les soirs dans un club d’officiers de marine américaine. Je n’oublierai jamais ce merveilleux endroit, ni ces officiers tous très beaux et très sympathiques. Ils buvaient beaucoup, jouaient au piano, dansaient, riaient, etc. Le cadre était divin et je devins très vite une habituée. Le seul ennui, c’est que je ne parlais pas anglais ! On ne sortait du club que très tard et on roulait le reste de la nuit. Je n’oublierai jamais comme c’était beau, le Cap-d’Antibes ! Le lendemain matin, je devais me lever à 7 heures pour le travail. Inutile de dire combien j’étais claquée.
    Un jour, la dépêche que je redoutais entre toutes est arrivée : Patrice était à Paris.
    Alors je quittai la Croix-Rouge disant que je devais rentrer à Paris. Mais j’en avais si peur et si peu envie que je restai encore quelques jours. J’avais tellement l’impression de vivre mes dernières vacances que je m’en donnais à cœur joie. Je passais toutes mes journées avec Pierrot. Nous roulions indéfiniment en voiture quittant le littoral pour l’arrière-pays, pour voir se lever ou se coucher le soleil à tel ou tel endroit.
    Mais le 2 avril je pris l’avion et arrivai dans la journée chez les parents de Patrice. Je suis sûre qu’à ce moment-là, je ne l’aimais pas et, même, je lui en voulais pour toute la place qu’il avait, au fond, volé, non dans mon cœur mais dans ma vie. »
     
    Le

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